Ya albi, ya dammi, ya hayati
*mon coeur, mon sang, ma vie...
Cette nuit, l'orage a tonné. À grands coups qui ont fait sursauter les chiens et réveillé les petites filles un peu peureuses. J'ai regardé par la fenêtre. Mon jardin, ma rue, ma ville étaient intactes. J'ai pensé à ceux de là bas qui n'ont pas dormi de la nuit et qui voient l'aube se lever sur les décombres.
De retour à Beyrouth.
J'arrive le soir. L'aéroport est animé, bondé de touristes, d'hommes d'affaires qui arrivent d'Europe et d'Asie. Je cherche mon chemin et puis, je vois mon nom sur un carton. Sous le carton, il y a un sourire irrésistible monté sur des pattes de gazelle, chaussées Louboutin (je connais mes chaussures quand même). Tout le monde la regarde. Pas juste les hommes. Les femmes, les enfants, les chiens. Incroyable.
Elle s'avance vers moi, main tendue, le regard intelligent, allumé.
- Bonjour, je suis Darina, la soeur de Dima, elle m'a envoyée vous chercher, elle a été retenue au bureau, venez, venez, ma voiture est garée en double à l'entrée.
Elle me désigne la sortie. Oh une petite trentaine de pieds... qu'on mettra vingt minutes à franchir! Tout le monde l'arrête, la félicite, lui demande des nouvelles de son mariage prochain. On lui parle en français, en anglais mais surtout en arabe, Darina répond à tout le monde gracieusement, avec bonne humeur. J'ai l'impression qu'elle les connait tous et je n'y comprend absolument rien jusqu'à ce qu'on lui demande de signer un billet d'avion.
But of course. Une actrice!
Darina joue dans Ze feuilleton libanais de l'heure. J'apprend que son personnage a des soucis. Doit-elle épouser l'Un ou l'Autre? L'Un est un bon gars rassurant et un peu plate, l'Autre est le diable en personne, une sorte de Valmont libanais mâtiné de Che. Aucune différence culturelle entre le Liban et le Québec. Chez nous aussi les filles hésitent entre le bon gars un peu plate et le bad boy irrésistible.
Du coup, on entre de plein pied dans la discussion. Tes chaussures sont hallucinantes et t'as quelqu'un dans ta vie?
Voilà. Ça niaise pas. Au coeur des vrais enjeux. Je sens que je vais pouvoir lui poser pleins de questions sans avoir peur de gaffer. Je lui demande d'où elle vient. Elle est Druze. Les rebelles de la montagne, les révolutionnaires boudhistes de l'Islam. Hein? Vous m'en direz tant!
Elle enchaîne, à toute vitesse, Darina parle vite et bien. Son français est articulé, sophistiqué, une mitraillette intelligente qui atteint toujours sa cible, Fabrice Luchini version orientale. L'esprit dans la beauté. Ça fesse. Elle m'explique le Liban, multiconfessionnel: Chiites, Maronites, Musulmans intégristes, modérés, les Chrétiens, Druzes, Phalangistes, les alliances, les contre alliances, les vieilles guerres, les nouvelles.
Wow, wow! Je suis blonde, fille. Je comprend tout mais j'ai besoin qu'on m'explique len-te-ment (si ça peut vous rassurer, cinq ans plus tard, je ne m'y retrouve pas tout à fait encore).
De toutes façons, qu'elle me dit, c'est très simple. Tout le monde a perdu pendant la guerre, tout le monde veut la paix. Le libanais, et la libanaise donc! en ont ras le pompon du Hezbollah ET d'Israël. Qu'on leur foute la paix à la fin, qu'ils puissent vivre.
Elle a raison, c'est simple.
On sort de l'aéroport. Elle conduit comme elle parle. Phewwww! La nuit est bleue. Pas noire, bleue. Indigo. Je ne vois pas bien la ville encore mais je vois les silhouettes des grues partout. On est en 2001 et Beyrouth connait un boum immobilier de reconstruction sans précédent. La ville entière est un vaste chantier et un message à tous les survivants. On se relève les manches et on recommence!
Cette nuit, l'orage a tonné. À grands coups qui ont fait sursauter les chiens et réveillé les petites filles un peu peureuses. J'ai regardé par la fenêtre. Mon jardin, ma rue, ma ville étaient intactes. J'ai pensé à ceux de là bas qui n'ont pas dormi de la nuit et qui voient l'aube se lever sur les décombres.
De retour à Beyrouth.
J'arrive le soir. L'aéroport est animé, bondé de touristes, d'hommes d'affaires qui arrivent d'Europe et d'Asie. Je cherche mon chemin et puis, je vois mon nom sur un carton. Sous le carton, il y a un sourire irrésistible monté sur des pattes de gazelle, chaussées Louboutin (je connais mes chaussures quand même). Tout le monde la regarde. Pas juste les hommes. Les femmes, les enfants, les chiens. Incroyable.
Elle s'avance vers moi, main tendue, le regard intelligent, allumé.
- Bonjour, je suis Darina, la soeur de Dima, elle m'a envoyée vous chercher, elle a été retenue au bureau, venez, venez, ma voiture est garée en double à l'entrée.
Elle me désigne la sortie. Oh une petite trentaine de pieds... qu'on mettra vingt minutes à franchir! Tout le monde l'arrête, la félicite, lui demande des nouvelles de son mariage prochain. On lui parle en français, en anglais mais surtout en arabe, Darina répond à tout le monde gracieusement, avec bonne humeur. J'ai l'impression qu'elle les connait tous et je n'y comprend absolument rien jusqu'à ce qu'on lui demande de signer un billet d'avion.
But of course. Une actrice!
Darina joue dans Ze feuilleton libanais de l'heure. J'apprend que son personnage a des soucis. Doit-elle épouser l'Un ou l'Autre? L'Un est un bon gars rassurant et un peu plate, l'Autre est le diable en personne, une sorte de Valmont libanais mâtiné de Che. Aucune différence culturelle entre le Liban et le Québec. Chez nous aussi les filles hésitent entre le bon gars un peu plate et le bad boy irrésistible.
Du coup, on entre de plein pied dans la discussion. Tes chaussures sont hallucinantes et t'as quelqu'un dans ta vie?
Voilà. Ça niaise pas. Au coeur des vrais enjeux. Je sens que je vais pouvoir lui poser pleins de questions sans avoir peur de gaffer. Je lui demande d'où elle vient. Elle est Druze. Les rebelles de la montagne, les révolutionnaires boudhistes de l'Islam. Hein? Vous m'en direz tant!
Elle enchaîne, à toute vitesse, Darina parle vite et bien. Son français est articulé, sophistiqué, une mitraillette intelligente qui atteint toujours sa cible, Fabrice Luchini version orientale. L'esprit dans la beauté. Ça fesse. Elle m'explique le Liban, multiconfessionnel: Chiites, Maronites, Musulmans intégristes, modérés, les Chrétiens, Druzes, Phalangistes, les alliances, les contre alliances, les vieilles guerres, les nouvelles.
Wow, wow! Je suis blonde, fille. Je comprend tout mais j'ai besoin qu'on m'explique len-te-ment (si ça peut vous rassurer, cinq ans plus tard, je ne m'y retrouve pas tout à fait encore).
De toutes façons, qu'elle me dit, c'est très simple. Tout le monde a perdu pendant la guerre, tout le monde veut la paix. Le libanais, et la libanaise donc! en ont ras le pompon du Hezbollah ET d'Israël. Qu'on leur foute la paix à la fin, qu'ils puissent vivre.
Elle a raison, c'est simple.
On sort de l'aéroport. Elle conduit comme elle parle. Phewwww! La nuit est bleue. Pas noire, bleue. Indigo. Je ne vois pas bien la ville encore mais je vois les silhouettes des grues partout. On est en 2001 et Beyrouth connait un boum immobilier de reconstruction sans précédent. La ville entière est un vaste chantier et un message à tous les survivants. On se relève les manches et on recommence!
- Tu as faim?
- Non mais j'ai soif.
- On dépose ta valise, je t'emmène.
- Non mais j'ai soif.
- On dépose ta valise, je t'emmène.
Elle est comme ça Darina, décidée! Et encore, à côté de sa soeur Dima, un général d'armée en jupons, Darina c'est de la petite bière.
Je dépose mes valises au Gabriel, un hôtel de chic et de soie quartier chrétien d'Achrafieh. C'est un quartier bourgeois, branché. Outremont qui aurait été débauché par l'aristocratie fin de race de la Côte d'Azur. Outremont sans les péteuses et les maris mal mariés qui reluquent en douce les filles plus jeunes en poussant des poussettes qui coûtent le prix d'une Smart. Outremont le fun quoi!
Et je me retrouve dans un des plus beaux restaurants que j'ai vu de ma vie. Et j'ai voyagé. Le marbre est omniprésent, rose, crème, noir. Les plafonds sont très hauts, couverts de fresques. De la beauté partout. Des colonnes, de l'air, des torches, le bois ouvragé des tables, le coton transparent des nappes. Des serveurs en blanc qui ne me demandent pas mon avis et m'amène un café blanc, c'est à dire une infusion qui embaume la fleur d'oranger. Je n'aime pas la fleur d'oranger à Montréal, ni l'eau de rose, ni la violette. Trop parfumé. À Beyrouth, je n'ai jamais rien avalé de si délicieux.
On m'apporte à manger. Je dévore. J'ai faim. C'est divin, raffiné, exquis, léger. La cardamonne, le miel, les cailles dorées qui fondent dans la bouche, le safran, la menthe, le poisson grillé aux citrons confits. Les fruits et les légumes sont minuscules, juteux, intenses. Les figues et les abricots sont à se damner. J'en pleurerais tellement c'est bon.
Après l'Italie, je pensais avoir tout connu, gustativement parlant. Je me fourrais royalement le doigt dans l'oeil. Avec l'Italie, le Liban est l'autre endroit au monde où j'ai connu l'extase. Culinaire. Et l'autre aussi, allez. L'extase esthétique, bien sûr.
Darina me jette un oeil goguenard (et délicatement maquillé de khol). Entre le reflet rose du marbre et celui ambré des torches, elle est plus belle que Cléopâtre (que je n'ai jamais vue en vrai mais il y a comme une rumeur). Darina est une sorcière qui connait le pouvoir des sens. Je la soupçonne d'amener ici des hommes étrangers et d'en faire ses esclaves jusqu'à la mort. Je partage ma pensée avec elle. Elle hausse un sourcil.
Je dépose mes valises au Gabriel, un hôtel de chic et de soie quartier chrétien d'Achrafieh. C'est un quartier bourgeois, branché. Outremont qui aurait été débauché par l'aristocratie fin de race de la Côte d'Azur. Outremont sans les péteuses et les maris mal mariés qui reluquent en douce les filles plus jeunes en poussant des poussettes qui coûtent le prix d'une Smart. Outremont le fun quoi!
Et je me retrouve dans un des plus beaux restaurants que j'ai vu de ma vie. Et j'ai voyagé. Le marbre est omniprésent, rose, crème, noir. Les plafonds sont très hauts, couverts de fresques. De la beauté partout. Des colonnes, de l'air, des torches, le bois ouvragé des tables, le coton transparent des nappes. Des serveurs en blanc qui ne me demandent pas mon avis et m'amène un café blanc, c'est à dire une infusion qui embaume la fleur d'oranger. Je n'aime pas la fleur d'oranger à Montréal, ni l'eau de rose, ni la violette. Trop parfumé. À Beyrouth, je n'ai jamais rien avalé de si délicieux.
On m'apporte à manger. Je dévore. J'ai faim. C'est divin, raffiné, exquis, léger. La cardamonne, le miel, les cailles dorées qui fondent dans la bouche, le safran, la menthe, le poisson grillé aux citrons confits. Les fruits et les légumes sont minuscules, juteux, intenses. Les figues et les abricots sont à se damner. J'en pleurerais tellement c'est bon.
Après l'Italie, je pensais avoir tout connu, gustativement parlant. Je me fourrais royalement le doigt dans l'oeil. Avec l'Italie, le Liban est l'autre endroit au monde où j'ai connu l'extase. Culinaire. Et l'autre aussi, allez. L'extase esthétique, bien sûr.
Darina me jette un oeil goguenard (et délicatement maquillé de khol). Entre le reflet rose du marbre et celui ambré des torches, elle est plus belle que Cléopâtre (que je n'ai jamais vue en vrai mais il y a comme une rumeur). Darina est une sorcière qui connait le pouvoir des sens. Je la soupçonne d'amener ici des hommes étrangers et d'en faire ses esclaves jusqu'à la mort. Je partage ma pensée avec elle. Elle hausse un sourcil.
- Et encore, tu n'as pas vu les boutiques de lingerie.
- ?!?
- Beyrouth est la capitale de la lingerie. J'espère que tu as amené une carte de crédit?
Et de découvrir délicatement son épaule gauche pour me faire voir le détail de la dentelle de la bretelle de son soutien-gorge.
- !!!
Comme disent les anglais: That's when I knew I was in deep shit.
- ?!?
- Beyrouth est la capitale de la lingerie. J'espère que tu as amené une carte de crédit?
Et de découvrir délicatement son épaule gauche pour me faire voir le détail de la dentelle de la bretelle de son soutien-gorge.
- !!!
Comme disent les anglais: That's when I knew I was in deep shit.
***
Darina est venue à Montréal. Son fiancé avait acheté une maison au Carré St-Louis. Elle est repartie au Liban. Sans lui. J'ai essayé ses trois numéros et son courriel.
Rien.
Darina est venue à Montréal. Son fiancé avait acheté une maison au Carré St-Louis. Elle est repartie au Liban. Sans lui. J'ai essayé ses trois numéros et son courriel.
Rien.
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