jeudi, juin 29, 2006

la vie, la vie, quelle vie?

Avertissement aux mamans qui ont de jeunes enfants et encore quelques illusions. Post perturbant, ne lisez pas plus loin si vous voulez conserver les dites illusions ou à tout le moins le minimum d'espoir pour continuer "jour après jour" (pensez Renée Martel). Je serai probablement de mauvaise foi, tenez vous le pour dit.

J'ai été une jeune mère... OK. Une très jeune mère. Mon fils a été plus grand que moi bien avant ma première ride. On m'a prise pour sa gardienne, sa soeur, sa blonde, rarement sa mère. Juste pour que les choses soient claires, il a été désiré, voulu, attendu. Dans l'inconscience la plus absolue mais désiré. Et aimé, en toute lucidité cette fois.

J'ai aussi été monoparentale. Pas "monoparentale tout le monde en parle" avec pension, maison, jardin, papa présent et un beau brushing tout frais. Non. Monoparentale pas de break, pas d'aide, pas de pension, pas de beau linge, pas le temps d'aller chez le coiffeur, le Fort Boyard de la parentalité.

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Si c'est vrai, je suis Hulk, Tarzan, King Kong.

J'ai aussi eu un fils "adoptif". Que j'ai aimé comme le mien. Je n'ai pas été Belle Mère avec lui comme je suis Belle Mère avec Belle Fille. Son père et moi n'avions rien d'autre en commun qu'une garderie extraordinaire, le bien être de nos fils et une course perpétuelle à l'organisation. On s'est aidés. Je m'occupais de son flo en même temps que du mien pendant qu'il faisait sa médecine. L'été, il louait des chalets et emmenait les garçons me permettant ainsi de souffler un peu. Qui a un médecin de famille aujourd'hui alors que tout le monde en cherche? Ben oui, des fois c'est payant la solidarité. Et les deux garçons sont toujours le meilleur ami de l'autre... 21 ans d'amitié indéfectible en 23 ans de vie, c'est ma meilleure histoire de garderie. Le docteur Chicoine? Ne me partez pas sur le docteur Chicoine, il me rend bête et méchante.

C'est ici que les filles qui ont des bébés et ou des illusions arrêtent de lire.

Je ne sais pas comment j'ai fait.

Je le sais tellement pas que j'ai l'impression qu'il s'agit de quelqu'un d'autre. Gagner ma vie, survivre, élever un enfant, payer le loyer, les légumes verts, les bottes d'hiver, les livres d'école, les sorties, la mite de baseball, c'est sans fin. Tu passes en dernier. Tu trouves ça normal. T'as un enfant, t'assumes. Ça n'enlève rien à l'amour même quand tu pognes les nerfs d'épuisement et d'exaspération parce qu'il sait plus où il a oublié-perdu ses runnings pour la troisième fois en un mois. Il m'est arrivé de sangloter sur une chaîne de trottoir devant ses yeux inquiets parce que je ne savais pas comment j'allais faire pour lui en racheter d'autres. C'est là que l'instinct maternel est encore plus fort que l'amour. Tu te démerdes.

J'ai des regrets que pas une photo de "bébé tellement cuuuuuute" ne saurait apaiser. Je suis passée à côté d'un paquet d'affaires juste parce que j'étais trop fatiguée. La réalisation est passée juste sous mon nez à un certain moment. J'avais l'âge, le profil, l'opportunité de le faire. Mais je ne voyais pas comment je pourrais arriver à concilier quinze heures sur un plateau et un enfant au primaire. Pire, à force de répéter les gestes du ménage, de la cuisine, de l'organisation quotidienne, mon cerveau était tatoué de la certitude que je ne méritais pas autre chose. Que je ne saurais pas faire autre chose. Qu'une femme qui abandonne son enfant pour aller faire quelque chose qu'elle aime est une salope. J'ai regardé des garçons de mon âge se lancer dans l'aventure avec la même absence de questionnement que moi quand je faisais les courses après la garderie. Je les ai vus se lancer à l'eau avec panache. Certains se sont noyés, d'autres nagent toujours. Je les enviais pour mourir. J'aurais donné n'importe quoi pour avoir des couilles et sauter avec eux, sans soutien-gorge.

Sauf mon fils.

Je ne voyais pas ça si clairement bien sûr... Quand t'es dedans, tu le fais sans te poser de question, ton enfant passe en premier, c'est un réflexe limbique. Je me dis aussi, avec mélancolie, que si Léonard avait été une femme, nous n'aurions jamais vu la Joconde.

Loin de moi l'idée de brandir le drapeau de la revendication. Je ne juge pas, je constate. Dur constat. Je sais, ça ne vous fait pas plaisir. À moi non plus.

C'est aujourd'hui alors que mon fils vient de partir de la maison pour aller vivre avec sa blonde que je mesure la portée des deuils que j'ai eu à faire. Ça me fait vraiment chier de l'admettre mais il y en a. On ne peut pas tout avoir, tout le temps. Et je trouve énervant au plus haut point ceux qui comparent "les beaux moments privilégiés avec ton enfant" à (prononcer à voix haute avec une pointe de dédain) "une carrière". Hey, c'est pas le même département! Ça ne se compare pas. Pis tant qu'à y être, faut arrêter de dire que les filles de carrière le font pour "la grosse cabane, les deux chars dans le driveway, le chalet, la piscine, la course folle à la consommation". Aussi subversif que ça puisse sembler, y'a du monde qui travaille par passion. Duh!

Avec l'arrivée de Belle Fille dans ma vie que je mesure à quel point j'ai donné tout ce que j'avais à donner dans le rayon enfant. À quel point il serait facile de disparaitre à nouveau. À quel point je ne veux plus disparaitre.


***

6 heures du matin. La maison dort encore. Mes meilleures heures de travail. Des petits pas dans l'escalier. Shitt, elle est debout. Dix ans mais avec ce qu'elle a vécu, l'autonomie d'une enfant de quatre ans. Elle a toujours besoin de quelqu'un à côté d'elle. Je ferme la porte du bureau, le seul endroit sacré de la maison, dans l'espoir de finir ma séquence. Un grattement de l'autre côté de la porte. Qui insiste. Elle s'en sacre du sacré. J'ouvre.

BELLE FILLE
Qu'est-ce que tu fais?

BELLE MÈRE
Je travaille.

BELLE FILLE
À cette heure-là?

Hochement de tête et yeux levés au ciel. À ses yeux, je fais dur.

BELLE FILLE
C'est quoi?

BELLE MÈRE
Un truc politique.

BELLE FILLE
C'est plate.

BELLE MÈRE
Oui. Probablement. Tu veux un bol de céréales?

BELLE FILLE
Oui. On joue à Scategories en déjeunant?

BELLE MÈRE
Non.

***

Juste non. Pas d'explication, pas de justification.