SCÈNE 1 - pour vivre heureux, vivons cachés
1. EXT. SOIR - TERRASSE DU CHIQUILIN, BUENOS AIRES
L'orchestre vient d'entamer la version ultra soft jazz de libertango. Une clientèle hétéroclite, branchée, psychanalisée, ruinée et cultivée boit, fume, mange et argumente comme si l'apocalypse était pour dans une heure.
L'apocalypse a déjà eu lieu. On appelle ça la dictature. Les disparus hantent les rues de ville comme autant d'acteurs qui refusent de quitter la scène (Je disgresse, à ne jamais jamais faire dans un scénario, mais ici I do as I goddam please).
Dans un coin près des acacias en fleurs, une blonde dans une petite robe noire termine son verre en regardant les autres. Elle regarde une femme splendide aux doigts bagués d'ivoire qui rejette ses cheveux en arrière avec la même provocation que si elle faisait un strip tease.
Elle regarde le ballet des serveurs, qui vont et viennent en glissant sur le plancher, les bras chargés de salciccia, de vin, d'olives. Que des hommes. Elle regarde le pianiste au dos courbé sur un Steinway qui a souffert de l'humidité. Elle regarde les doigts du pianiste qui ont une vie totalement indépendante de leur propriétaire. Elle regarde la jeune mafia locale qui vient d'arriver, arrogante et joyeuse. Elle écoute les conversations qui pétaradent, en lunfardo, ce mélange d'espagnol et d'italien que parlent les portenos, ceux qui vivent à Buenos Aires.
Un homme s'approche d'elle. Cinquante ans, une tête à la Vittorio Gasman. Il fume un cigarillo. Il se présente, charmant, charmeur. Il est beau, pourtant il brise quelque chose. Il remarque son accent, lui demande de quelle province elle est? "Mendoza" (c'est faux, mais le vin y est meilleur qu'à Longueuil). Il lui demande ce qu'elle fait dans la vie?
"Hôtesse de l'air".
L'orchestre vient d'entamer la version ultra soft jazz de libertango. Une clientèle hétéroclite, branchée, psychanalisée, ruinée et cultivée boit, fume, mange et argumente comme si l'apocalypse était pour dans une heure.
L'apocalypse a déjà eu lieu. On appelle ça la dictature. Les disparus hantent les rues de ville comme autant d'acteurs qui refusent de quitter la scène (Je disgresse, à ne jamais jamais faire dans un scénario, mais ici I do as I goddam please).
Dans un coin près des acacias en fleurs, une blonde dans une petite robe noire termine son verre en regardant les autres. Elle regarde une femme splendide aux doigts bagués d'ivoire qui rejette ses cheveux en arrière avec la même provocation que si elle faisait un strip tease.
Elle regarde le ballet des serveurs, qui vont et viennent en glissant sur le plancher, les bras chargés de salciccia, de vin, d'olives. Que des hommes. Elle regarde le pianiste au dos courbé sur un Steinway qui a souffert de l'humidité. Elle regarde les doigts du pianiste qui ont une vie totalement indépendante de leur propriétaire. Elle regarde la jeune mafia locale qui vient d'arriver, arrogante et joyeuse. Elle écoute les conversations qui pétaradent, en lunfardo, ce mélange d'espagnol et d'italien que parlent les portenos, ceux qui vivent à Buenos Aires.
Un homme s'approche d'elle. Cinquante ans, une tête à la Vittorio Gasman. Il fume un cigarillo. Il se présente, charmant, charmeur. Il est beau, pourtant il brise quelque chose. Il remarque son accent, lui demande de quelle province elle est? "Mendoza" (c'est faux, mais le vin y est meilleur qu'à Longueuil). Il lui demande ce qu'elle fait dans la vie?
"Hôtesse de l'air".
***
Au fil des années, il y a eu successivement joueuse de tennis, prof de français au Nunavut, veuve (ben quoi?), sommelière, secrétaire (on ne dit plus secrétaire, on dit assistante, l'assistante va quand même chercher le café), réceptionniste, recherchiste, neurochirurgienne (difficile, je ne recommande pas), preneuse de son, photographe, serveuse, pompière, mannequin, actrice. J'ai même été ministre.
Scénariste? Le moins souvent possible.
Mais, pourquoi me direz-vous?
Parce qu'à la seconde où on le dit on est faitte de chez faitte.
Les gens changent. De "voyeur" on passe à "vu".
The horror, the horror.
Moins que ces pauvres acteurs qui dès qu'ils sortent de leur cercle se font regarder comme des chimpanzés en train de manger la banane avec la peau. Mais quand même.
Mais là où l'acteur cherche sa lumière, le scénariste est par nature animal de l'ombre, anxieux, angoissé, solitaire et parfois même franchement chicken.
Oui mais Lesbienne Farouche me direz-vous? Elle aime pas la lumière, elle? On va s'entendre, sa mère a dû caler du speed avec du Jack Daniels pendant sa grossesse.
Je le dis pas parce que je veux éviter le beau-frère qui tiens absolument à me conter sa vie (né à Drummondville, parti de rien, monté à la force du poignet, chez Pare tous les midis, vous connaissez la suite) sûr que ça peut faire une série, un grand film, "Je vois Roy là dedans". Ben oui. Sure.
Je veux éviter le paranoïaque coké qui me sort; "moi, j'ai une ostie d'histoire à te conter mais je te la dis pas, tu pourrais me la voler". On s'en reparle demain matin ? Je travaille mieux très tôt, disons 7 heures?
Je veux éviter le faux sincère; "j'aimerais ça que tu lises mon texte et que tu me dises vraiment ce que t'en penses". Eh, oh! Je suis blonde pas albinos. Vous en connaissez vous des gens qui disent vraiment ce qu'ils pensent et qui ont encore des amis? Pas moi.
Je veux éviter le très abstrait; "J'ai une idée de film". Traduction libre, "toi tu écris les 120 pages qui vont trouver du financement mais l'auteur c'est moi parce que c'est moi qui a eu l'IDÉE". Ouais, moi j'en ai quinze par jours des idées. Connaissez le dicton 10% d'inspiration, 90% de transpiration"? Voilà. La chose la plus facile au monde, c'est d'avoir des idées. Surtout couché dans hamac avec un pichet de Ricard bien frais. La plus difficile, c'est de les mener à bon port. Surtout après le Ricard.
Sur quoi je travaille? Oh sur rien. Je suis supertistieuse. Si j'en parle, je le fais pas.
Plate je vous dis. Une vie de moine. Je fuis les tapis rouges, les premières, les flashs. J'haiiiis ça pour mourir. Et si on m'y oblige, je passe la soirée derrière une plante verte à regarder le petit brun manoeuvrer pour mettre la grande rousse dans son lit avant minuit. Ou à interwier le barman sur son vécu d'immigrant illégal.
Je vis cachée parce que rien n'est plus pénible que de devoir expliquer ce qu'on ne comprend pas soi-même. Je sais pas pourquoi j'écris. Je sais pas "comment on fait". Je sais pas si ça s'enseigne (je crois pas, en fait j'espère que non). Je sais pas comment il est dans la "vraie" vie Patrick Huard.
Je ne sais pas. C'est comme le paradis ou le caramel au centre de la Caramilk. Des fois, vaut mieux ne pas savoir. Ignorance is bliss. Tout ce que je sais, c'est qu'avec une plante verte, je me sens plus en sécurité.
Ça nous fait une belle jambe, hein?
Allez, bonne fin de semaine, il me reste un épisode à finir pour lundi et je n'ai AUCUNE idée de ce que je vais y mettre.
Scénariste? Le moins souvent possible.
Mais, pourquoi me direz-vous?
Parce qu'à la seconde où on le dit on est faitte de chez faitte.
Les gens changent. De "voyeur" on passe à "vu".
The horror, the horror.
Moins que ces pauvres acteurs qui dès qu'ils sortent de leur cercle se font regarder comme des chimpanzés en train de manger la banane avec la peau. Mais quand même.
Mais là où l'acteur cherche sa lumière, le scénariste est par nature animal de l'ombre, anxieux, angoissé, solitaire et parfois même franchement chicken.
Oui mais Lesbienne Farouche me direz-vous? Elle aime pas la lumière, elle? On va s'entendre, sa mère a dû caler du speed avec du Jack Daniels pendant sa grossesse.
Je le dis pas parce que je veux éviter le beau-frère qui tiens absolument à me conter sa vie (né à Drummondville, parti de rien, monté à la force du poignet, chez Pare tous les midis, vous connaissez la suite) sûr que ça peut faire une série, un grand film, "Je vois Roy là dedans". Ben oui. Sure.
Je veux éviter le paranoïaque coké qui me sort; "moi, j'ai une ostie d'histoire à te conter mais je te la dis pas, tu pourrais me la voler". On s'en reparle demain matin ? Je travaille mieux très tôt, disons 7 heures?
Je veux éviter le faux sincère; "j'aimerais ça que tu lises mon texte et que tu me dises vraiment ce que t'en penses". Eh, oh! Je suis blonde pas albinos. Vous en connaissez vous des gens qui disent vraiment ce qu'ils pensent et qui ont encore des amis? Pas moi.
Je veux éviter le très abstrait; "J'ai une idée de film". Traduction libre, "toi tu écris les 120 pages qui vont trouver du financement mais l'auteur c'est moi parce que c'est moi qui a eu l'IDÉE". Ouais, moi j'en ai quinze par jours des idées. Connaissez le dicton 10% d'inspiration, 90% de transpiration"? Voilà. La chose la plus facile au monde, c'est d'avoir des idées. Surtout couché dans hamac avec un pichet de Ricard bien frais. La plus difficile, c'est de les mener à bon port. Surtout après le Ricard.
Sur quoi je travaille? Oh sur rien. Je suis supertistieuse. Si j'en parle, je le fais pas.
Plate je vous dis. Une vie de moine. Je fuis les tapis rouges, les premières, les flashs. J'haiiiis ça pour mourir. Et si on m'y oblige, je passe la soirée derrière une plante verte à regarder le petit brun manoeuvrer pour mettre la grande rousse dans son lit avant minuit. Ou à interwier le barman sur son vécu d'immigrant illégal.
Je vis cachée parce que rien n'est plus pénible que de devoir expliquer ce qu'on ne comprend pas soi-même. Je sais pas pourquoi j'écris. Je sais pas "comment on fait". Je sais pas si ça s'enseigne (je crois pas, en fait j'espère que non). Je sais pas comment il est dans la "vraie" vie Patrick Huard.
Je ne sais pas. C'est comme le paradis ou le caramel au centre de la Caramilk. Des fois, vaut mieux ne pas savoir. Ignorance is bliss. Tout ce que je sais, c'est qu'avec une plante verte, je me sens plus en sécurité.
Ça nous fait une belle jambe, hein?
Allez, bonne fin de semaine, il me reste un épisode à finir pour lundi et je n'ai AUCUNE idée de ce que je vais y mettre.
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