lundi, juillet 31, 2006

Des fleurs pour Caroline

Mais si. Caroline à Londres. Du coeur, une audace sereine, des opinions subtiles mais fermes, un oeil perspicace pour la nature de l'animal british observé dans son habitat naturel.

Je la lis et je suis dans un pub un peu crade, le nez plongé dans une stout crémeuse "bread in the bottle".

Je ne sais pas si c'est le kidney pie qui rentre mais son blogue a un charme de plus en plus anglais, tout à fait lovely.

Fancy a cuppa?

Des nouvelles de Beyrouth

Un message de Dima, la soeur de Darina, via son téléphone portable.

"Sous embargo, chérie. Je refuse d'être déportée. Je reste à Beyrouth. T'embrasse, D."

Sous embargo, elle dit encore "chérie". Comme disait Beckett, quand on est dans la merde jusqu'au cou, il ne reste plus qu'à chanter!

***


vendredi, juillet 28, 2006

Et vous z'écoutez?


C'est vendredi, j'achève. C'est faux, j'ai travaillé trois minutes et je suis allée niaiser chez Archambault d'où je suis ressortie avec un bill de, je vous le dis pas, seriez capable d'appeler compulsifs anonymes.

Donc. On n'a pas parlé musique encore. Racontez un peu... Quoi, quand, avec qui? Diga me queridos.

J'ai un rituel quand j'écris, faut que je me trouve une toune fétiche par projet. Sur la série que j'achève (thank f... god) c'était l'intégrale Cole Porter. Fallait. C'est une pesante (t'sais comme dans "fais ta pesante su' matante"), une grosse toutoune, un monster truck. Cole était parfait pour me garder un petit oumff.

Pour changer, je fais aussi une petite série légère, farfelue, une bargain à produire et parfaitement superficielle. Yes, you guessed it, une série blonde.

J'ai terminé le pilote sans musique, histoire de tâter le poul de la bête, le beat de l'affaire. J'en suis à la bible. Ça devenait urgent, j'avais besoin d'une toune. Direction Archambault. J'ai trouvé dans la section revival has been. LA toune parfaite.

Je m'excuse d'avance. C'est un genre d'herpès musical, une fois qu'on l'a, impossible de s'en débarrasser.

Peter Frampton.

"I want youuuu hou hou, show me the wayyyyy, everyday, I want youuu hou hou, show me the way, yeah".


jeudi, juillet 27, 2006

Questions pour un champion

1) Vous lisez quoi, là?

La vérité hein? On n'est pas chez Pivot et je suis pas M'ame Bombardier.

2) En buvant quoi? Et/ou en mangeant quoi?

Moi c'est l'intégrale du menu de chez Sandhu, la fin du dernier Philip Roth, Oprah, In Style, Paris Match et s'il me reste un neurone ou deux, je gradue au Journal de Montréal dans lequel je cache le Monde. En mangeant des sandwichs à la crème glacée Oréo que je cache à l'Enfant parce que je veux pas partager.

Je sais, c'est vilain. Pour oublier, je bois. Du Prosecco.

Inès

Elle est entrée dans ma vie par le lit de mon fils. C’était en mai. Il avait neigé la veille et je faisais le tour de la maison pour remettre le chauffage. Je suis entrée dans la chambre d’Arnaud avec la ferme intention d’en ressortir sans avoir cédé à la tentation de faire le ménage. J’en aurais eu pour cinq heures, ça aurait été dans le même état cataclysmique le lendemain et il m’en aurait voulu pendant des semaines. Une perte sèche. A quatorze ans, Arnaud avait une vision esthétique, quasiment opératique de son propre chaos. De plus, mon fils s’attachait très facilement et il avait une prédilection marquée pour tout ce qui avait été abandonné par d’autres, objets déchus, animaux infirmes et amis « rejets » inclus.

Une forme a bougé sous les couvertures. J’ai crié. Elle aussi.

Le cœur qui pompe à toute vitesse, j’ai vu des yeux qui me fixaient au-dessus du drap, des cheveux lustrés qui se répandaient comme une nappe de pétrole sur ses seins. Pas des seins innocents d’adolescente. Des vrais. Il y avait une fille dans le lit de mon fils et je l’avais réveillée. Shit.

- Arnaud m’a dit que je pouvais dormir ici, que ça serait correct avec toi .

Déjà, ça m’a énervée qu’elle me tutoie.

- Non, c’est pas correct.

Elle a rejeté le drap comme si je l’avais giflée et a commencé à s’habiller. J’ai eu le temps de voir qu’elle portait une culotte en coton trop mince et que c’était une vraie brune. J’ai vu aussi qu’elle avait encore son gras de bébé sur le ventre, que son visage passait de la vulgarité à la fragilité dans la même seconde. J’ai pensé qu’elle devait rendre les garçons complètement fous. J’ai détourné les yeux pour pas voir. Je sentais quand même son parfum poudré, lourd, trop vieux et une autre odeur, celle de… Mon fils. J’ai reculé. Elle a pris mon mouvement comme un geste de dédain.

- Relax, je m’en vais.

J’ai levé la main.

- Attends.

Elle s’est arrêtée tout de suite et elle s’est remise sous les draps. Au chaud. A l’abri.

- T’es pas à l’école ?

Manifestement elle n’y était pas. Encore aujourd’hui, je suis gênée d’avoir été si bête. Elle a dû me prendre pour une demeurée.

- Ma mère m’a mise dehors.

Je me suis assise sur la chaise et j’ai maudit mon fils et son maudit esprit chevaleresque en me jurant de jeter l’intégrale Tolkien au plus crisse.

- Tu as quel âge ?
- Quatorze.
- Ta mère sait où t’es ?

Elle m’a regardée avec un mélange de condescendance et de désarroi. Elle m’évaluait. Qu’est-ce qu’elle voyait ? Une femme de trente-cinq ans, figée dans son petit tailleur noir, ses bas opaques et ses certitudes de maman branchée qui s'imagine ouverte d’esprit. Une adulte rigide qui posait des questions idiotes et qui ne comprendrait rien à ses tourments d’adolescente qui s’est engueulée avec sa mère. A son air, je voyais bien que je ne passais pas l’examen…

C’est le moment qu’à choisit Léo pour entrer dans la pièce. Cinq livres de poils blancs rasta, de truffe humide et d’impétuosité fanfaronne. Un chiot. Au début de nos amours, Mathieu avait voulu un bébé bouledogue qui était devenue une énorme chienne en perpétuel PMS, mon fils avait ramené tortues égarées, chats unijambistes, perruches à l’aile arrachée et autres rats orphelins. J’avais voulu marquer mon territoire dans cette arche de Noé qu’était notre maison et j’avais demandé un chien à moi. Un chien de filles. J’avais trouvé ce bichon « toy » dans un pet shop de l’est. Mathieu, Arnaud et moi étions tombés immédiatement sous le charme insensé de cette bête minuscule qui s’était emparée d’office du commandement de la maison. Même la grosse chienne se laissait grimper dessus, le grognement de circonstance mais l’œil attendri.

Léo s’est dirigé tout droit vers la fille toute nue. Il a jappé vigoureusement contre l’intruse puis, courageux, s’est réfugié ventre à terre jusqu’à moi pour se faire prendre. Une fois sur mes genoux, il s’est blotti entre mes cuisses et s’est endormi avec un grand soupir de satisfaction. J’ai regardé la gamine dans le lit, elle fixait le chien, le regard envieux. Je n’ai rien dit. J’ai attendu qu’elle parle. J’avais chaud, j’étais en retard pour un rendez-vous et pourtant je restais là comme une dinde qui attend Noël, avec le pressentiment que ça n’allait pas arranger ma journée.

- Je me suis battue avec mon beau-père. Je lui ai planté un couteau dans la main. Ma mère m’a dit qu’elle ne voulait plus jamais me voir la face .

Okay.

J’ai posé mes mains sur Léo qui dormait, le museau enfoui dans ma jupe. Il s’est même pas réveillé.

- Raconte.

Elle m’a regardée. Elle a fait non.

- Tu me croiras pas.

- Tu racontes ou tu sors.

Elle demandait juste ça, que je demande une deuxième fois.

***

Son père, elle l’avait jamais vu. Même pas de nom. De lui, elle savait qu’il avait violé sa mère qui n’avait que dix-sept ans, qu’il était latino, colombien, un fils de pute, un Portugais n’aurait jamais fait ça. Chez les Portugais, on n’aime pas les latinos. On n’aime pas les femmes qui se font violées par eux non plus. Surtout si elles se font mettre un bâtard dans le ventre et que le bâtard est une fille. L’avortement est un crime, condamné par l’église. Dans l’échelle de la vertu, vaut mieux condamner la pute qui s’est fait engrossée par un violeur. C’est plus net.

Sa mère l’avait élevée toute seule, en assemblant des pyjamas dans une shop de couture le jour et en faisant des ménages le soir. La grand-mère gardait la petite. La belle vie. Et puis, après des années, sa mère avait rencontré un homme et elle était redevenue presque belle. Lui, il était très beau. Un Portugais comme elle. Il avait un bon travail à la ville, col bleu mais chef, il était compétent, apprécié dans sa communauté et il parlait français et anglais. La grand-mère était contente, ses prières avaient porté fruit. Sa fille ne passerait plus pour une traînée et avec le temps, on finirait par croire que l’homme était le vrai père de la gamine. La grand-mère était rentrée finir ses jours au Portugal, l’esprit en paix…

L’homme était gentil avec la petite. Il lui apprenait à jouer aux cartes, aux dominos, aux dés. Il lui donnait son bain quand sa mère tardait. Il allait avec elle au Club Portugais le dimanche pour qu’elle apprenne à danser. Elle dansait bien. Elle aimait bien qu’il la regarde. Pour la première fois de sa vie d’enfant déchet, elle se sentait belle. L’homme lui achetait des robes neuves. C’était la première fois de sa vie qu’elle avait des vêtements neufs, qui ne sortaient pas d’une friperie qui pue la sueur des autres. Elle mettait ses robes et elle défilait. La mère lui disait de ne pas se pavaner. Qu’il n’y avait pas de quoi être fière quand on savait d’où elle venait, d’un chien de latino. L’homme prenait la défense de la petite. « Parles pas comme ça à ta fille, c’est pas de sa faute si son père est un enfant de chienne».

L’homme avait attendu après sa première communion pour la pénétrer. Après il l’avait bordée dans son lit en lui disant que la communion avait fait d’elle une femme et que dorénavant, elle pourrait être traitée comme une vraie femme. Il l’avait embrassée sur le front, lui avait dit qu’il l’aimait et qu’il était fier d’elle. Après, il était allé se saouler en la laissant toute seule dans l’appartement.

Un mois plus tard, il épousait la mère faisant d’elle et de sa bâtarde, des femmes respectables.

Après le mariage, il avait couché avec la petite presque chaque fois que la mère les laissait seuls. Et il buvait presque chaque fois. Quand il rentrait enfin, la mère criait. Alors il s’était mis à taper la mère, pour qu’elle se taise. Jamais il n’avait frappé la petite. Quand la mère pleurait, il faisait semblant de partir pour toujours et la mère rampait, le suppliait. Elle aurait fait n’importe quoi pour le garder, pour ne plus être seule avec sa fille, pour ne pas être abandonnée et humiliée aux yeux de toute la communauté encore une fois. Depuis qu’elle était sa femme, elle était quelqu’un. Elle tenait à le rester.

***

J’ai détourné la tête. La petite s’est arrêtée de parler.

- Tu ne me crois pas, je le savais.
- Je sais même pas ton nom.
- Inès.
- Inès. Est-ce que ta mère le sait ?
- Tu me crois pas.
- Je te crois.

Je l’ai dit trop fort. Le chiot s’est réveillé.

- Pardon. Tu l’as dit à ta mère ?
- Ma mère ? J’ai pas eu besoin.

***

Un soir, Inès était à genoux devant son beau-père et elle avait entendu le son de la clé dans la porte. Sa mère qui rentrait plus tôt. Elle s’était reculée brusquement et il avait éjaculé avec un grand cri de rage. Sans un mot, la mère avait rangé les courses et préparé des accras de morue et des pommes de terre bouillie. Ils avaient mangé avec la télé allumée.

Un mois plus tard, la mère attendait un autre enfant.

Entre-temps, il y avait eu un signalement. Anonyme. Une travailleuse sociale était venue à la maison. Elle avait visité la jolie chambre bien rangée, les vêtements repassés, la maison tellement propre qu’on pouvait manger par terre. La mère avait dit tout va bien, un peu de jalousie de la petite face au nouveau bébé qui s’en venait, rien de plus. La travailleuse sociale, une brave personne, avait vendu la mèche. Une institutrice s’était inquiétée du comportement d’Inès et avait appelé les services sociaux. La TS avait ramassé son sac, rassurée par sa visite. L’école s’était trompée, elle le voyait bien.

Le lendemain, la mère changeait Inès d’école. Pendant la grossesse, le futur père, probablement superstitieux, n’avait plus touché à Inès. Mais ça le rendait de mauvaise humeur. Il fallait marcher sur des œufs. Inès passait le plus de temps possible dehors. Elle avait douze ans.

Quand son petit frère était né, ils étaient allé le voir à l’hôpital. Son petit visage était un peu pâle mais si mignon, comme un petit prince. Et déjà il était sage et serein, pas comme les autres bébés qui pleuraient à côté. Inès avait mis son doigt dans la main minuscule et il l’avait serrée, de toutes ses forces. Elle l’avait aimé tout de suite. Elle était rentrée à la maison, heureuse. Le soir, c’est au bébé qu’elle avait pensé pendant que son beau-père entrait en elle.

Il avait recommencé. Maintenant, il fallait qu’il attende que le bébé soit couché et Inès le couchait le plus tard possible. Elle aurait couché dans son berceau si elle avait pu. Le bébé ne pleurait jamais. Il ne prenait pas bien son biberon non plus. Ça le forçait, il devenait tout en sueur et pâle, presque bleu. L’infirmière du CLSC avait recommandé des examens. Elle craignait une insuffisance cardiaque ou pulmonaire. Il fallait voir un spécialiste. Le jour du rendez-vous, la mère ne pouvait pas bouger parce que son mari lui avait brisé trois côtes. Le bébé était mort quelques semaines plus tard dans les bras d’Inès alors qu’elle était seule avec lui. Inès s’était affolée de l’entendre râler. Elle était sortie de la maison, le bébé dans les bras, pieds nus dans la neige et elle avait crié jusqu’à ce qu’un voisin alerte la police. Une ambulance était enfin arrivée et avait emporté, trop tard, l’amour de sa vie.

Une deuxième travailleuse sociale était venue. Une autopsie avait été pratiquée sur le bébé, son cœur défectueux était la seule cause de sa mort. La travailleuse sociale avait accepté les explications des parents et n’avait porté aucun blâme. À peine une remarque sur le fait d’avoir laissé un nouveau-né sous la surveillance d’une gardienne de douze ans. L’assistante sociale ne s’était jamais rendue compte que la gamine qu’elle avait devant elle, c'était pas douze ans qu'elle avait mais mille.

***

Dans mes bras, le petit chien a bougé. Moi, je n’ose pas. Inès me regarde. Elle surveille ma réaction, elle guette les signes d’incrédulité sur mon visage. Sur le sien, rien. Aucune émotion. Elle est comme ces enfants soldats qui connaissent mieux l’usage d’une AK-47 que celui d’une brosse à dents.

Je lui demande la permission de demander conseil à quelqu’un qui sait ce qu’il faut faire. Elle ne veut pas. Je promets de ne rien entreprendre sans son accord. Elle accepte, mais elle me fait jurer. J’appelle un ami avocat. J’apprends que je suis dans l’obligation de faire un signalement, faute de quoi je pourrais être accusée de non-assistance à personne en danger. Je proteste. J’ai promis à Inès. Mon ami avocat s’en fout. Si elle dit la vérité, il faut être au-dessus des promesses.

Si elle dit la vérité… De deux choses l’une. Si elle dit la vérité, elle a besoin d’aide, si elle ment, elle a besoin d’aide aussi.

Je lui fais une soupe et je lui raconte ce que je viens d’apprendre. La DPJ, la police, mon devoir de citoyenne. Elle ne m’écoute pas et donne des bouts de pain à Léo. Mathieu rentre de la campagne avec la chienne. La grosse adopte aussitôt Inès et la suit comme une queue de veau, elle garde la porte des toilettes quand la petite s’y enferme. Ma chienne la couve comme si elle l'avait mise au monde.

Je parle longtemps avec Mathieu. Il s’enflamme. S’emporte. Se mets en scène. Il est la victime, le sauveur, la conscience et la justice. Lui, il cumule tous les sévices, il est le champion de l’enfance atroce, le numéro un au palmarès de la souffrance et de l’abandon. Tout est vrai, il en porte les marques partout sur son corps, partout dans sa façon démesurée d’avoir besoin d’amour sans savoir aimer. C’est pas pour rien qu’on s’est trouvés. Sauf que moi, à côté de lui, j’ai eu de la chance.

Bien sûr c’est lui qui réussit à convaincre Inès de porter plainte.

La DPJ débarque. Jason, le travailleur social me tend une poignée de main solide malgré des allures de rasta végétarien famélique. Sean Phillips revisité version Tam Tam. Je l’imagine tout de suite en Inde en train de faire des trips d’extasy sur une plage de Goa. Sa peau est translucide, ses yeux très clairs, j’ai des fantasmes de le nourrir de viande rouge juste à le regarder. Et de sérieux doutes sur sa compétence à gérer le dossier.

Il s’installe devant Inès qui lui fait un très beau numéro de «cause toujours mon homme, je vous connais les TS, vous êtes des nuls et je vous méprise ».

Jason ne se défend pas. Il ouvre les mains, paumes offertes. Il reçoit son mépris et sa hargne en silence. Il accepte ses reproches, la laisse aller jusqu’au bout de son flot de vomi. Je pense à Jésus, celui du début, la période miracles, les potes, le road trip, l’eau en vin. La patience de Jason fait son chemin jusqu’à Inès… Quand elle se tait, il parle tranquillement, avec des mots simples et lucides, d’une voix posée. Si elle porte plainte, il faut qu’elle s’attende à ce que ce soit dur. Autant que ce qu’elle a vécu jusqu’à maintenant. Peut-être même plus parce que si elle parle, tout le monde va la regarder comme une bête de cirque. Elle va peut-être même souhaiter n’avoir rien dit mais il sera trop tard.

Jésus a franchi le mur du son jusqu’à son oreille, maintenant attentive. Elle l’écoute, tête penchée. Elle le trouve beau, ça se voit. Je lui en veux d’être sur le bord du flirt dans de telles circonstances. Je lui en veux de refuser de n’être qu’une victime. Jason reçoit les battements de cils, les moues, les sourires, les seins en avant avec le calme du canard sur le lac au moment de l’averse, magnanime. Il me fait un petit signe, tout discret, mais qui me jette à terre. Je comprends enfin qu’il la laisse faire parce qu’il sait que c’est le seul rapport qu’elle connaisse avec les hommes et qu’elle a besoin d’être en territoire familier pour rester forte.

Mais oui, évidemment, j'aurais dû savoir. Je suis émerveillée par tant de science de l’âme chez un si jeune homme. Ça fait drôle d’avoir le Christ en Birkenstock dans sa cuisine. Jésus accepte un espresso qu’il boit avec reconnaissance. Il revient à la charge sur les conséquences d’une plainte. C’est toute la vie qui change, pour toujours. Le déplacement en foyer d’accueil, le procès, les avocats, les experts. Ils vont lui poser cent fois les mêmes questions. Il lui faudra se rappeler des dates, des gestes, des mots. Elle va devoir témoigner contre son beau-père. Contre sa mère.

Large sourire d’Inès à la perspective de témoigner contre sa mère. Sa réaction, spontanée, est d’une telle violence que nous restons tous trois silencieux pendant de longues minutes.

C’est au milieu de ce silence que mon fils arrive de l’école. Il avait laissé la première fille nue de sa vie dans son lit, il se retrouve dans un épisode hard core d’une série qui ne ressemble en rien à Watatatow.

Il me prend en douce et me dit qu’Inès a la réputation « d’en mettre » pour se rendre intéressante. Je regarde mon fils dans les yeux.

- Pourquoi tu l’as hébergée si tu la crois pas ?
- Ben… Je savais pas quoi faire. J’ai pas pensé.

Je sais très bien pourquoi il n’a pas voulu penser. Je la vois aussi avec son jean trop serré, ses seins, sa bouche lustrée par le gloss et cette fêlure de femme abîmée dans le regard qui réveille l’esprit chevaleresque autant que le désir de posséder. À quatorze ans, Arnaud a vu la belle fille, la déesse facile qui ferait de lui un homme. Point. Il n’a jamais pensé qu’être un homme, ça pouvait aussi vouloir dire affronter un réveil brutal. Son lendemain de brosse charnelle dépasse complètement ses forces adolescentes. Il n’y a plus de chevalier en vue, juste un enfant inquiet qui ne maîtrise pas ses pulsions.

Arnaud détourne le regard, pour éviter de voir Inès. Il sait que je sais. Il n’est pas fier de lui. Au moment où moi aussi je vais avoir honte de mon fils, je surprends la main tendue d’Inès à l’intention d’Arnaud. Je suis surprise de voir qu’elle est moins mal à l’aise que nous deux.

- Ça va man, c’est beau, t’as été correct, fais-toi en pas.

Les yeux pleins d’eau, il se détourne, marmonnant de vagues excuses à propos d’un devoir à faire. Je ne vais pas le réconforter.

A dix heures du soir, deux policiers de l’escouade des crimes sexuels contre les mineurs débarquent. Deux costauds. En uniforme. Les chiens aboient. Ils sentent la nervosité. Je prends Léo dans mes bras et je guide les policiers vers la cuisine. Je pensais qu’ils enverraient une femme. Je suis une personne pleine d’à priori. J’ai tort.

Le bouledogue se place devant Inès et grogne dès que les policiers s’approchent à moins de deux pieds. Inès la flatte derrière l’oreille et la chienne se couche à ses pieds. Le plus vieux des deux policiers explique la procédure de la plainte à Inès. Son beau-père sera accusé. S’il est trouvé coupable, il ira en prison. Non, ils ne peuvent pas dire combien de temps. Ils peuvent prendre une première déposition tout de suite.

Ce soir ? Ce soir.

Inès se ronge un ongle. Je la sens qui hésite. Sa mère. Je sais qu’elle pense à sa mère à qui elle infligera à nouveau la honte publique. C’est tout petit la communauté portugaise. Je sais qu’elle pense aussi qu’enfin, enfin, sa mère sera jugée pour ce qu’elle n’a pas fait. Je la vois penser comme si son visage étant un écran de cinéma sur lequel des images défilent. Un film qu’elle aurait pu écrire mais auquel elle n’aurait pas le droit d’assister. Trop jeune.

Elle hésite jusqu’à la fin. Je vois passer sur son visage tendu la mort de son tout petit frère au cœur malade. Tout son visage se transforme dans un sursaut de douleur et de haine si puissant que le bouledogue à ses pieds sursaute et laisse échapper un jappement sec. Dans mes bras, je crois que le chiot tremble. Ce sont mes mains qui tremblent.

- Je veux porter plainte.

Le policier s’installe.

- Très bien, je vais prendre ta déposition. Tu es prête ?

Alors Inès se tourne vers moi et dans un geste de noyée tend les bras vers le petit chien que je tiens contre mon coeur.

- Je peux avoir Léo ?

A cet instant, je sais qu’elle m’a dit la vérité. Qu’elle me voit comme je la vois. Et qu’elle me croit.

Elle a pris le chien et l’a mis contre sa poitrine. Il s’est blotti. Elle a regardé le policier droit dans les yeux.

- Je suis prête.

***

mardi, juillet 25, 2006

Hypothèse

Je lis beaucoup de choses intéressantes sur le Moyen Orient. Dont Carine à www.chercheusedor.blogspot.com

Je ne suis pas pro ni un ni l'autre. Les fanatiques, c'est facile d'être contre. Plus subtils sont ceux qui se réclamment de Neville Chamberlain "Peace in our time" pour justifier l'injustifiable.

Il y a des gens de bonne foi qui refusent de considérer l'autre partie comme un cancer à éradiquer. Je suis pour ceux là.

Je suis pour la paix, le dialogue. Comme ceux du groupe Dialogue. Des palestiniens, des israéliens, des libanais qui se rencontrent pour s'écouter les uns les autres. Je trouve cette initiative remarquable étant donné les circonstances.

Je lis aussi des trucs qui me font bondir. Normal. Je sais aussi, que des fois, ce que je considère comme une connerie, c'est l'évangile pour quelqu'un d'autre. Comme disait Larry Flynt; "and who am I to defy god"?

C'est ça, la démocratie.

***

Disons que c'est une histoire inventée. J'aime bien les histoires inventées.

Il était une fois, un éditeur en chef qui sur un blogue défend l'indéfendable avec une ferveur, disons, toute religieuse. C'est plus un jupon qui dépasse, c'est une crinoline, un drapeau, un étendard, une oriflamme.

Il a l'opinion qu'il veut, hein. On est toujours en démocratie.

Disons qu'un chroniqueur de la même publication, tout en douceur, persiste et signe, sans prendre le boss de front mais... il va dans une autre direction. Sans partisanerie, essayant avec tact de remettre un peu d' humanité dans le discours. The high road.

Disons que ce chroniqueur est pigiste.

Officiellement, le pigiste a le droit d'émettre une opinion différente de celui qui l'engage.

Il y a des boss assez forts pour être capables d'impartialité. Il y a des boss formidables, j'en ai connu. Mais les boss sont des êtres humains comme les autres, en plus seuls... J'ai rarement vu quelqu'un risquer sa peau pour aller, amicalement, dire à celui qui le paye, "boss, vous errez, là".

Si c'était un conte de fée, le boss serait surpris, puis reconnaissant. "Vraiment? Merci de me le dire avant que je fasse un fou de moi".

Dans la réalité, heu...

Mais c'est une histoire. De la fiction.

Disons que j'admire quand même le courage du pigiste.

***

lundi, juillet 24, 2006

Gros z'ego

Ego.

Comme les gauffres. Bien doré et croustillant, plein de sirop d'érable clair et de beurre fondu, l'ego a pourtant bien mauvaise presse.

"Monsieur Untel a un gros ego, Madame UneTelle a un bien plus gros ego".

C'est bien connu. Une femme qui dit "je" ouh la la, c'est comme une femme qui boit. C'est pire.

Je m'explique. Dans cet article "je blogue donc je suis", ça raconte que bloguer est un acte narcissique, propulsé par l'ego. Eh beh ma bonne dame! Oui, oui, vous et moi, amis blogueurs. Ça a l'air laid, dit comme ça hein? Gros ego, ça sonne un peu gros jambon.

Ça occulte les rencontres, les échanges, l'information vue autrement, la découverte d'autres planètes que la sienne, l'ouverture, l'édition démocratisée, la percée de talents qui ne seraient pas manifestés autrement.

Des âneries? Ben oui. Mais y'en a partout, des âneries. Des fois, y'a même des ânes qui sont payés très cher pour en raconter, alors... Et c'est comme la télé, si n'aime pas ce qu'on voit, on ferme le poste. On est pas tous lobotomisés quand même.

N'importe quelle exposition de soi, n'importe quelle manifestation artistique est propulsé par l'ego. Se projeter dans le "je" demande qu'on dépasse le censeur intérieur. Celui qui répète de sa vilaine petite voix de canard nasillard qui te nargue; "tu fais de la mardeuh".

Ben oui, je le savais, merci de me le rappeler!

Mozart devait demander à sa Constance de lui faire la lecture à haute voix pour occuper le canard pendant qu'il composait. Sinon, il bloguait. Euh, pardon, il bloquait.

Poursuivons le raisonnement. Wolfgang a réussi à terrasser le canard grâce à l'amour de sa Constance et à la force de son ego.

Ce qui nous a valu sa *"petite musique de nuit"...

Fermez les yeux. Là. Entendez-vous le bruit de son coeur qui se déchire?

Dites moi maintenant que c'est mal un ego qui se manifeste...

***


*Selon vos goûts, remplacez Mozart par The Cure, Sinatra, Renée Martel, Callas ou Springsteen, whatever turns you on.

Fantasme et autres vagabondages du lundi

J'ai toujours rêvé d'être une écrivaine alcoolique. Ça a plutôt bien marché pour Duras. Saoule comme une polonaise et elle te pond "l'amant". Hemingway, imbibé jusqu'à la moëlle et hop "pour qui sonne le glas".

Je pense qu'il a écrit "le vieil homme et la mer" sobre. C'est nettement moins bon.

Je ne suis pas écrivaine, je suis scénariste. Et je ne supporte pas le fort sauf le Barbancourt et il n'en reste plus. Fait chier.

***

"Le monde du bas des marches".

Scoop! Après neuf ans d'entrainement et de tentatives infructueuses, Killer Candy a enfin pogné un moineau.



Il a fallu l'arroser au boyau pour qu'elle accepte de le rendre.

***

lu

L'éditorial de Jean Daniel dans le Nouvel Obs. Limpide.

***

Une entrevue avec Jay McInerney, auteur de "Bright lighs, big city" et de "the good life" dans "The writer's digest". Il dit, je cite: "I think fiction tells us more about the emotional reality of our times than journalism does".

***

Un article dans le "Psychologie" français qui porte le titre de "je blogue donc je suis".

He he!

***
Reçu

Une invitation à laquelle je n'ai pas pu répondre. Darn. J'aurais pu mélanger San Pellegrino et Perrier, faire couler mon mascara et me prendre pour une rock star trash.

ô the agony!

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Ri

Fort. Souvent. En lisant le blogue de "Lainey's entertainement update". D'accord, ce n'est pas Heiddeger en camping. C'est mieux. Elle frôle la poursuite judiciaire à chaque ligne. Exemple, elle surnomme Tom C. "the gay dwarf".

Need I say more?

***

Vu

LE spectacle de l'année au camp de jour de Belle Fille. "En attendant Robert" un hommage Beckettien à Robert Lepage, écrit, joué et chanté (sur l'air de la Belle et la Bête) par 57 gamines et trois petits mecs déchaînés, survoltés, électriques. Ça brûlait les planches et on agonisait de chaleur, qu'importe, c'était hot.
Au moment du grand air, il y a eu une strophe sublime à propos dudit Robert "toutes les filles sont à tes pieeeeeds".

Une dure désillusion les attends.

I laughed, I cried. Le meilleur show que j'ai vu depuis deux ans.

***

Des nouvelles du front


Aucune nouvelle de Darina. Mais les lignes sont coupées. Ça ne veut rien dire.

vendredi, juillet 21, 2006

Virtuel, virtuel, c'est pas parce que c'est virtuel que c'est pas vrai!

C'est drôle cette intimité virtuelle avec de parfaits inconnus. Est-ce le sentiment de liberté, l'absence d'obligation? Il y a parfois des fulgurances, des affinités, voir même une solidarité étonnante. Du serrage de coude comme dit si bien Mère Indigne (qui ne l'est pas pan toute, c'est une sainte, elle va à la Ronde avec sa fille).

Seul mon homme connait l'existence de ce blogue. Pas uns de mes amis-amies de ma vie réelle. Et pourtant ce sont de vrais amis. Encore plus étrange, je n'ai jamais pensé que les histoires que je vous raconte puisse les intéresser.

Paradoxe, paradoxe.

Parlant solidarité, Caroline à Londres, une blogueuse allumée qui me fait voyager à peu de frais, m'a branchée sur le blogue de Pamela, cette étudiante au doctorat à McGill qui est en ce moment au Liban.

pchrabieh.blogspot.com

Il y a des images. Dont une tellement surréaliste que je n'y crois pas tout à fait. Celle de ces petites filles israéliennes qui signent de leur nom les bombes que les soldats s'apprêtent à faire tomber sur le pays voisin.

Est-ce de l'intox? Si c'est vrai, qui sont ces parents qui permettent à leurs enfants de faire des trucs pareils?

Ça ne peut pas être vrai. Hein? Dites moi?

Ya albi, ya dammi, ya hayati

*mon coeur, mon sang, ma vie...

Cette nuit, l'orage a tonné. À grands coups qui ont fait sursauter les chiens et réveillé les petites filles un peu peureuses. J'ai regardé par la fenêtre. Mon jardin, ma rue, ma ville étaient intactes. J'ai pensé à ceux de là bas qui n'ont pas dormi de la nuit et qui voient l'aube se lever sur les décombres.


De retour à Beyrouth.

J'arrive le soir. L'aéroport est animé, bondé de touristes, d'hommes d'affaires qui arrivent d'Europe et d'Asie. Je cherche mon chemin et puis, je vois mon nom sur un carton. Sous le carton, il y a un sourire irrésistible monté sur des pattes de gazelle, chaussées Louboutin (je connais mes chaussures quand même). Tout le monde la regarde. Pas juste les hommes. Les femmes, les enfants, les chiens. Incroyable.



Elle s'avance vers moi, main tendue, le regard intelligent, allumé.

- Bonjour, je suis Darina, la soeur de Dima, elle m'a envoyée vous chercher, elle a été retenue au bureau, venez, venez, ma voiture est garée en double à l'entrée.

Elle me désigne la sortie. Oh une petite trentaine de pieds... qu'on mettra vingt minutes à franchir! Tout le monde l'arrête, la félicite, lui demande des nouvelles de son mariage prochain. On lui parle en français, en anglais mais surtout en arabe, Darina répond à tout le monde gracieusement, avec bonne humeur. J'ai l'impression qu'elle les connait tous et je n'y comprend absolument rien jusqu'à ce qu'on lui demande de signer un billet d'avion.

But of course. Une actrice!

Darina joue dans Ze feuilleton libanais de l'heure. J'apprend que son personnage a des soucis. Doit-elle épouser l'Un ou l'Autre? L'Un est un bon gars rassurant et un peu plate, l'Autre est le diable en personne, une sorte de Valmont libanais mâtiné de Che. Aucune différence culturelle entre le Liban et le Québec. Chez nous aussi les filles hésitent entre le bon gars un peu plate et le bad boy irrésistible.

Du coup, on entre de plein pied dans la discussion. Tes chaussures sont hallucinantes et t'as quelqu'un dans ta vie?

Voilà. Ça niaise pas. Au coeur des vrais enjeux. Je sens que je vais pouvoir lui poser pleins de questions sans avoir peur de gaffer. Je lui demande d'où elle vient. Elle est Druze. Les rebelles de la montagne, les révolutionnaires boudhistes de l'Islam. Hein? Vous m'en direz tant!

Elle enchaîne, à toute vitesse, Darina parle vite et bien. Son français est articulé, sophistiqué, une mitraillette intelligente qui atteint toujours sa cible, Fabrice Luchini version orientale. L'esprit dans la beauté. Ça fesse. Elle m'explique le Liban, multiconfessionnel: Chiites, Maronites, Musulmans intégristes, modérés, les Chrétiens, Druzes, Phalangistes, les alliances, les contre alliances, les vieilles guerres, les nouvelles.

Wow, wow! Je suis blonde, fille. Je comprend tout mais j'ai besoin qu'on m'explique len-te-ment (si ça peut vous rassurer, cinq ans plus tard, je ne m'y retrouve pas tout à fait encore).

De toutes façons, qu'elle me dit, c'est très simple. Tout le monde a perdu pendant la guerre, tout le monde veut la paix. Le libanais, et la libanaise donc! en ont ras le pompon du Hezbollah ET d'Israël. Qu'on leur foute la paix à la fin, qu'ils puissent vivre.

Elle a raison, c'est simple.

On sort de l'aéroport. Elle conduit comme elle parle. Phewwww! La nuit est bleue. Pas noire, bleue. Indigo. Je ne vois pas bien la ville encore mais je vois les silhouettes des grues partout. On est en 2001 et Beyrouth connait un boum immobilier de reconstruction sans précédent. La ville entière est un vaste chantier et un message à tous les survivants. On se relève les manches et on recommence!

- Tu as faim?

- Non mais j'ai soif.

- On dépose ta valise, je t'emmène.

Elle est comme ça Darina, décidée! Et encore, à côté de sa soeur Dima, un général d'armée en jupons, Darina c'est de la petite bière.

Je dépose mes valises au Gabriel, un hôtel de chic et de soie quartier chrétien d'Achrafieh. C'est un quartier bourgeois, branché. Outremont qui aurait été débauché par l'aristocratie fin de race de la Côte d'Azur. Outremont sans les péteuses et les maris mal mariés qui reluquent en douce les filles plus jeunes en poussant des poussettes qui coûtent le prix d'une Smart. Outremont le fun quoi!

Et je me retrouve dans un des plus beaux restaurants que j'ai vu de ma vie. Et j'ai voyagé. Le marbre est omniprésent, rose, crème, noir. Les plafonds sont très hauts, couverts de fresques. De la beauté partout. Des colonnes, de l'air, des torches, le bois ouvragé des tables, le coton transparent des nappes. Des serveurs en blanc qui ne me demandent pas mon avis et m'amène un café blanc, c'est à dire une infusion qui embaume la fleur d'oranger. Je n'aime pas la fleur d'oranger à Montréal, ni l'eau de rose, ni la violette. Trop parfumé. À Beyrouth, je n'ai jamais rien avalé de si délicieux.

On m'apporte à manger. Je dévore. J'ai faim. C'est divin, raffiné, exquis, léger. La cardamonne, le miel, les cailles dorées qui fondent dans la bouche, le safran, la menthe, le poisson grillé aux citrons confits. Les fruits et les légumes sont minuscules, juteux, intenses. Les figues et les abricots sont à se damner. J'en pleurerais tellement c'est bon.

Après l'Italie, je pensais avoir tout connu, gustativement parlant. Je me fourrais royalement le doigt dans l'oeil. Avec l'Italie, le Liban est l'autre endroit au monde où j'ai connu l'extase. Culinaire. Et l'autre aussi, allez. L'extase esthétique, bien sûr.

Darina me jette un oeil goguenard (et délicatement maquillé de khol). Entre le reflet rose du marbre et celui ambré des torches, elle est plus belle que Cléopâtre (que je n'ai jamais vue en vrai mais il y a comme une rumeur). Darina est une sorcière qui connait le pouvoir des sens. Je la soupçonne d'amener ici des hommes étrangers et d'en faire ses esclaves jusqu'à la mort. Je partage ma pensée avec elle. Elle hausse un sourcil.

- Et encore, tu n'as pas vu les boutiques de lingerie.

- ?!?

- Beyrouth est la capitale de la lingerie. J'espère que tu as amené une carte de crédit?

Et de découvrir délicatement son épaule gauche pour me faire voir le détail de la dentelle de la bretelle de son soutien-gorge.

- !!!

Comme disent les anglais: That's when I knew I was in deep shit.

***

Darina est venue à Montréal. Son fiancé avait acheté une maison au Carré St-Louis. Elle est repartie au Liban. Sans lui. J'ai essayé ses trois numéros et son courriel.

Rien.




jeudi, juillet 20, 2006

Meanwhile (pun intended) back at the farm of show business


Un homme de pouvoir en chute libre et rouge jusqu'à la racine d'un burn out extended version , hurle à pleins poumons devant ses assistantes terrifiées.

- Ostie de tabarnak d'artisssses à marde, vous êtes touttes des trou de cul, j'aime mieux mes bulls que vous autres, ostie!

***

Admirez la synthaxe choisie, le style délicat, la littérature toute en finesse du message. Le poids des mots, le choc des photos.

Je me meurs d'envie de voir comment ses "bulls" (don't ask) vont se débrouiller pour écrire, jouer et réaliser à la place de ces trous de cul d'artisssses qui l'ont pourtant rendu plus riche qu'ils ne le seront jamais eux-même?!?

Faites vos jeux.

Lire autre chose, la révolution blogue

Pardonnez ma blondeur technique à mettre des liens qui fonctionnent. Je vais donc mettre les adresses.

D'abord le titre de l'article dans le journal Le Monde est "Libanais et Israélien dialoguent sur le Web".

Le forum où dialoguent de jeunes israéliens avec de jeunes libanais s'appelle "the truth laid bear".

Et le blog de ce tout jeune libanais, formidable comme il écrit bien, c'est ramziblahblah.blogspot.com

Là où les gouvernements et la presse officielle sont incapables de s'écouter, il y a la planète blogue.

Je vous embrasse bien.

Rabbi Jacob il va danser!

Ce matin, un scénariste est mort. Il s'appelait Gérard Oury, de son vrai nom Max Gérard Houry Tannenbaum. Il était né le 29 avril 1919 et il était pensionnaire à la Comédie Française lorsque le gouvernement de Vichy promulga les lois anti-juives. Pour échapper aux déportations, Gérard Oury s'est sauvé en Suisse où il a vécu caché jusqu'à la fin de la guerre.

En 1973, il met en scène un film dont il a aussi écrit le scénario et les dialogues et qui raconte l'histoire d'un bourgeois raciste et français moyen qui, témoin d'un complot terroriste arabe, est sauvé par son chauffeur juif.

- Salomon, vous êtes juif?!?

- Oui, et mon oncle est rabbin.

- Mais il n'est pas juif tout de même?

- Si.

- Toute votre famille?

- Toute ma famille!

- Ça ne fait rien, je vous garde quand même.

***

Il y a dans le film, des scènes d'anthologie qui me font toujours pleurer de rire. Mais celle qui me fait juste pleurer, la plus belle, c'est celle où Slimane, le terroriste arabe lui aussi déguisé en rabbin (vaudeville oblige) donne la bénédiction au jeune David dont c'est la Bar-Mitzvah, sous le regard de son oncle Salomon.

Des fois, les films font plus que les gouvernements.


Dialogues

Trouvé dans le Monde de ce matin. Des blogues libanais, israéliens, palestiniens où un dialogue inimaginable politiquement vient de se créer.

Dont celui d'un jeune libanais, juché sur le toit d'un immeuble, qui commente les bombes qui tombent sur sa ville avec une jeune israélienne. Celle-ci écrit sur son blogue que la voix de ce jeune libanais, pris en otage par le Hezbollah autant que par l'armée israélienne, est une voix unique qu'elle n'entendra jamais dans un journal télévisé...



http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-734511,36-796681@51-796255,0.html

mercredi, juillet 19, 2006

Une image


Il parait que ça vaut mille mots... Voici donc les enfants de Sabra et Chatila.

Name dropping

Règle du blogue. Ne dropper que les noms de ceux dont je n'arrive pas à dire du mal. C'est très facile. Ça se compte sur les doigts de la main gauche de Django Reinhart.

Cette citation édifiante est destinée aux mères qui se sentent coupables dès qu'elles ne font pas passer le moindre des besoins de tous les membres de la famille avant les leurs. Ça concerne dont 99.9 des mères. Stay tuned.

Une fois, Andrée Lachapelle me raconte comment elle a élevé ses trois enfants après que leur père se soit pitché en bas d'un septième étage, la laissant chef de famille, pourvoyeuse, mère et père d'un seul coup.

"J'avais envie d'une robe, je me l'achetais, il m'arrivait aussi de prendre des congés sans eux. Je me suis dit que le moins que je puisse faire pour mes enfants c' était de leur donner une mère heureuse".


CQFD

Gestapo

Quoi, vous pensiez que j'allais vous raconter mon aventure torride avec un humoriste gabonais pendant que j'essayais d'organiser une projection en plein air dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila?

Plus tard. En attendant, une chronique Belle Fille.

***
Aux premiers temps de mes amours avec le Père de Belle Fille, j'allais d'étonnement en étonnement. La différence culturelle, ce n'est pas que la langue, c'est aussi l'éducation et les valeurs. Je viens d'écrire un gros mot, je sais, j'assume.

J'ai été Belle Mère plusieurs fois avant. La première fois, j'avais 18 ans, lui, 6. Il était le Petit Prince, j'étais son aviateur, on s'aimait comme des fous. La deuxième fois, j'en avais 23, eux 15 et 18. Au même âge, on joue ensemble. Ce qu'on a fait dans toute la turbulence de nos adolescences respectives. J'ai ensuite été la deuxième mère du meilleur ami de mon fils, voir chronique précédente. Il était l'Obélix de mon Astérix, il vient encore régulièrement jouer sur mon piano et me raconter ses histoires de filles. Je l'adore.

Que de bonnes expériences. Les vraies mères étaient dans le décors, c'était cordial, respectueux. Pas mes meilleures amies mais il allait de soi que le bien des tous ces marmots passait avant nos différences. Mon fils a aussi eu une Belle Mère. Elle a changé la vie de mon fils en changeant son rapport avec son père. Pour l'infiniment mieux . Je lui en suis extrêmement reconnaissante. Merci Pauline.

Et puis, j'ai rencontré le Papa de Belle Fille et l'histoire qui vient avec. Résumons. Si Belle Fille était la mienne, ça ne se passerait pas comme ça. Ce n'est pas la mienne. Alors je me venge, j'écris!

Belle Fille a l'air un d'un ange. Cheveux de blé, immense regard azur, corps longiligne et athlétique, teint de pêche. Une beauté. Elle aurait sa place dans la famille de mon père où tout le monde est construit sur le même modèle, sang irlandais oblige. Quand on se réunit et que les enfants sont tous ensemble, on dirait un rassemblement des jeunesses hitlériennes. Mais non, je ne le dis pas à haute voix, mais non.

Quand nous essayons de rejoindre Belle Fille chez sa mère, celle qui est partie à l'autre bout du pays en "oubliant" de prévenir, c'est le répondeur. Les messages ne sont pas retournés. Les cartes et autres paquets cadeaux sont égarées par le facteur. Les valises arrivent à Montréal remplies de vieux vêtements sales qui ne font plus. Elles repartent pleines de nouveaux vêtements qu'on revoit une fois sur deux. Belle Fille change d'école en milieu d'année sans qu'on soit prévenus. Elle change aussi d'adresse sans qu'on soit prévenus. Quand Belle Fille prend son avion à Victoria, elle a des papiers d'identité à présenter au comptoir d'embarquement. Quand elle embarque dans l'avion, les papiers se sont mystérieusement volatilisés. Et qui c'est qui se tape la galère à l'embarquement du retour? Eh oui. Et pas de carte d'assurance maladie, bien évidemment. Quand on la demande à la mère, au cas, elle répond, sans l'ombre d'un cillement, que bien sûr, elle l'a envoyée. La carte n'est pas dans la valise?!

Elle me prend vraiment pour une blonde. Je n'ai pas de problème à ce qu'on me prenne pour une imbécile, j'ai une certaine habitude de la chose. C'est le mensonge éhonté qui me tue. Celui en pleine face, avec le gentil sourire et la voix rassurante. Le même utilisé par les dentistes au moment de vous piquer dans le palais.

Au début de ce mauvais épisode de soap, j'ai cru à une farce. Voyons donc, impossible, je suis scénariste et je n'oserais pas écrire ça, c'est un movie of the week et Laura Ingalls joue mon rôle. Je veux changer de poste. Vite.

Après quelques années de fréquentations, je peux vous certifier qu'il y a des sectes qui recrutent des enfants. Raël sort de ce corps. Je peux aussi vous dire que le syndrôme de Stockholm, cet attachement de l'otage pour son geolier, existe aussi chez les enfants.

Quand par miracle (vive étoile 67) nous parlons à Belle Fille chez sa mère, nous sommes sur écoute. Il y a une respiration qui n'est pas celle de Belle Fille. Celle-ci répond par monosyllabes. "Hun, hun, ouais, chais pas". La conversation, interminable de "hun hun" dure cinq minutes. Max.

Quand Maman téléphone, quelques fois à six heures du matin, Belle Fille s'enferme dans sa chambre pendant deux heures pour parler avec sa mère. À voix basse.

Je l'avoue franchement. Il m'arrive de pogner les nerfs.

Une fois, n'en pouvant plus, j'ai décroché l'autre téléphone. Je suis tombée sur une conversation digne des meilleurs romans d'espionnage de la guerre froide.

MOM
What color her hair?

BELLE-FILLE
Fair.

MOM
You mean blond?

BELLE-FILLE
Yes.

MOM
Is it like, really blond of bottled blond?

BELLE-FILLE
I'm not sure.

MOM
You can tell by looking at her brows and lashes. What colour are they?

BELLE-FILLE
Fair. Like, she's got really long eyelashes but she's gotta put alot of black mascara, otherwise we can't see them because they're almost white.

MOM
So she wears alot of make up.

BELLE-FILLE
Just mascara. And lipstick when we go out to a restaurant or something.

MOM
Is she fat?

***


C'est là que je raccroche, avec la subtilité d'un travailleur de la construction qui dépose un deux par quatre à la fin de sa journée de travail.

ME
And no, I'm not fat goddamnit!

mardi, juillet 18, 2006

Tcharafna*

*Enchanté!


Déjà, au Consulat du Liban à Montréal, il n'y avait que des libanais. Pas un seul "pura lana" en vue. Il fait chaud, on doit faire la file pour le précieux visa; "non je ne suis pas allée en Israël dernièrement". Je suis étampée, je peux partir.

Montréal Paris. Sept heures d'attentes à Charles "Vive le Québec liiiiibre" de Gaulle. Je suis partie sans valise. Je déteste attendre les bagages. Je déteste transporter ma vie avec moi quand je débarque ailleurs.

Sur l'avion, le commandant de bord a beau parler aussi anglais, je suis déjà au Moyen Orient. À mes côtés, une grande fille d'une trentaine d'années aux cheveux coupés très courts, rare pour une libanaise, le visage nu et sans aucun bijou à part une alliance. Elle me raconte qu'elle est ingénieur, chef de projet pour la construction d'écoles et de dispensaires à travers tout l'ouest africain . Un plan générique pour l'école, un autre pour le dispensaire. Les deux doivent s'adapter au désert, à la jungle, au marais, à la savane. Elle engage des équipes sur place, la plupart du temps des gens qui n'ont jamais vu un plan d'architecture de leur vie. Elle fait avec les matérieux disponibles. Elle invente. Elle s'adapte. Dort dans des campements provisoire. Revient chez elle au Liban une fois par an, au plus. Je comprend à demi-mots que sa famille n'approuve pas son choix de carrière, que sa mère voudrait la voir bien casée à côté de la maison familiale, bien habillée, bien coiffée, bien maquillée, en sécurité, quoi! Ma voisine fait la moue. Au Liban, elle aurait végété dans un bureau où jamais elle n'aurait eu la liberté d'action qu'elle a dans les campagnes africaines...

Elle me montre les photos de ses chantiers, de "ses" écoles, une soixantaine, de "ses" dispensaires, de ses "hommes", qu'elle forme au fur et à mesure pour les besoins de la construction. Elle est la seule femme au milieu des ouvriers et pourtant, le mâle alpha, c'est elle. Un homme est sur presque toutes les photos. Un beau grand sinueux, tout en nerfs, qui sourit à l'objectif. Un congolais. C'est son bras droit, son contremaître, il la suit dans tous ses chantiers. Elle rougit un peu quand elle parle de lui. Quelque chose me dit qu'elle ne montrera pas ces photos-là à sa mère... Il y a une photo d'elle, sourire fendu jusqu'aux oreilles, entourée des enfants qui entrent dans l'école qu'elle vient de construire pour eux.

Et puis, juste au moment où je vais lui attribuer la médaille de la relève de Mère Térésa, elle me tend une photo d'elle, carabine à la main, juchée sur la dépouille égorgée d'un espèce de buffle monstrueux, radieuse comme une jeune mariée au lendemain d'une nuit de noce extatique. À ses pieds, une bouteille de Jack Daniels. On dirait Hemingway avec des seins...

Et elle me raconte qu'entre deux chantiers, elle se "détend" en chassant le gros gibier. Oui, les fauves aussi. Elle adore ça. Et après, quand ils ont tué, ils boivent. Jusqu'à tomber abrutis de fatigue dans leurs lits de camps au milieu de la jungle.

Elle fait tourner l'alliance à sa main gauche. Non, pas de mari. Un leurre pour qu'on lui foute la paix.

Je n'aime ni la chasse ni le Jack mais je suis remplie d'admiration. Cette fille-là a choisit de vivre sa vie. À sa façon. La vie qu'elle aime.

"Avec l'homme que tu aimes"? que je demande, innocente et blonde.

Elle me jette un regard du coin de l'oeil. Constate que mon sourire est malicieux, que je ne jugerai pas,et que, de toutes façons, je sais déjà.

Elle hoche la tête. "Oui, avec l'homme que j'aime".

Le commandant amorce les manoeuvres d'atterrissage. Je me penche pour voir les lumières de Beyrouth. Ma voisine pose sa main sur mon bras.

-Et toi, qu'est-ce que tu fais dans la vie?

- Moi? Je raconte des histoires.

Elle rigole. Un rire de gamine, tout léger, qui ne va pas du tout avec son image de tueuse de grand fauves.

- Comme dans les milles et une nuits?

- ...?!

Elle me tend la main, celle sans l'alliance, bronzée, sans vernis.

- Je m'appelle Rosy.


***

Damn the torpedos, full speed ahead!

lundi, juillet 17, 2006

MABROUK

MABROUK: Expression libanaise consacrée qui veut dire à la fois "félicitations", "meilleurs voeux" et "que cela te porte chance". Par exemple, si vous achetez une voiture, le vendeur vous tendra les clés en vous disant; "mabrouk".

***

Depuis six jours, je regarde ces sandales rouges et je pense à celui qui me les a vendues. Il tenait une minuscule boutique de chaussures à Achrafieh, le quartier chrétien de Beyrouth et il m'avait offert un café bien sucré, dense comme une confiture, un délice. Nous avions discuté chaussures, art de vivre et féminité. J'étais entrée pour des baskets, triste à mourir, je suis ressortie avec des sandales aux lanières de soie brodées, ayant retrouvé une certaine foi en l'homme. Et bénie par ses encouragements à bien vivre le reste de ma vie; "mabrouk".

Ce sont mes sandales porte-bonheur. Je me demande si le propriétaire de la boutique d'Achrafieh a été épargné par les bombes.

***

Juin 2000. La première terrasse de l'été, rue Cherrier, avec des copines et trop de Chardonnay, comme il se doit. Le soleil est doux à mon coeur dévasté. Discussion profonde, les hommes en général, la mode, les hommes qui nous brisent le coeur en particulier, les illusions qui tombent une à une, les mérites comparés d'Ogonquit et de Cape Cod. Mon téléphone se met à cracher un adagio. Numéro inconnu.

- Allô?

- Bonjour (français impeccable, accent que je ne parviens pas à identifier, voix rieuse), vous êtes X? Je suis Dima Al Joundi, je distribue des films au Liban et nous aimerions vous inviter au sommet de la francophonie qui se tiendra à Beyrouth cet été.

- Heu.

Des images de guerre, les otages, les attentats, les massacres, les visions d'immeubles défoncés par les obus, les frasques du Hezbollah et de l'occupation du sud Liban par Israël me viennent en tête. Quand on pense destination d'été, c'est rarement Beyrouth qui vient en premier. Je m'entend penser; "une seule vie. Je n'ai qu'une seule vie". Et ma décision est prise.

- Why not? Pardon, je voulais dire, oui, certainement, j'irai avec plaisir.

Les copines parlent toujours mecs. Je vide mon verre.

- Je pars pour Beyrouth, dans deux semaines.

Elles me regardent comme si j'étais tombée sur la tête. Je suis maso ou quoi? Je n'en ai pas eu assez dans la dernière année? Il faut en plus que j'aille me promener dans un pays sur des charbons ardents, cherchant désespérément la paix au milieu des ruines?

Oui. Et puis, faut pas exagérer. Ils sont en train de reconstruire, avec patience. Je m'identifie totalement. J'aime déjà Beyrouth.

J'apprendrai plus tard que Dima a demandé à d'autres cinéastes d'ici de venir et qu'ils ont tous refusé. Probablement à cause des mêmes images. Que seul un autre québécois a accepté. Il est vrai qu'il est africain et qu'il en a vu d'autres. N'empêche, l'invitation est un signe du destin. Kadaa wa kadar.

Yallah.


... suite demain.




samedi, juillet 15, 2006

presque la Provence, presque

Les pétroleuses franglaises

Cet été, j'ai à la maison, une Belle Fille wasp qui jongle son français à la vitesse de l'éclair et une adorable Belle Soeur, femme de mon ex-mari, parisienne accomplie qui s'essaie à l'anglais.

Apparté. Je vois déjà que vous vous demandez comment la nouvelle femme de mon ex mari peut être ma belle soeur et que diable fait-elle chez moi? Eh bien elle venue avec son nouveau mari, quoi. Vous voilà vraiment confus. Disons que nous vivons dans un film de Sautet. Une grande maison, des familles, des amours, des ex à gogo, des grandes tables conviviales et beaucoup d'alcool. Si c'est du travail? You bet! Une vallée de larmes pour y arriver mais ça vaut le coup. En ces jours de canicule, fait chaud, ça pue pis on est bens.

Donc, dans le coin gauche, Belle Fille nous parle du "contest" de crème glacée qu'elle veut instaurer pour le souper du vendredi, des "siringes" qu'il ne faut pas ramasser et qu'elle cherche ses flip flops pour aller "marcher" le chien. Sans compter des goûts culinaires tout à l'honneur du Canada Anglais, section white trash. Un monde de couleurs... Qui a dit que les canadiens anglais n'avaient pas de culture?

Au camp de théâtre qu'elle fréquente, le cri de ralliement est; "Je parle foooort et je ne suis pas ridicule"!

Slogan aussitôt adoptée par la maison Sautet.

Dans le coin droit, l'adorable Belle Soeur Camelia qui dévore "la détresse et l'enchantement" de Gabrielle Roy que je lui ai prêté, en sanglotant comme une madeleine toutes les trois pages. Une fille qui pleure en lisant Gabrielle Roy a forcément beaucoup de qualités. Elle me prête ses revues à potins français où j'apprend que la princesse Clothide achève sa deuxième grossesse dans le stress (fini la vie de château pour les princesses) et que Claire Chazal est enfin heureuse (photo en monokini à Ibiza).

Ah boooon? Ça bat presque la une d'une édition du 7 jours où l'on apprenait que Patricia Paquin s'était fait voler ses caps de roues à Laval.

Bref, dans un climat favorable aux anglos, Camelia s'essaie à l'anglais. Elle me parle donc d'un film qui doit sortir bientôt.

O Chan Tartine.

C'est le titre du film. Prononcez à haute voix. Voyez? Mais si voyons, O Chan Tartine, c'est pourtant simple. Si si, avec Georges Clounet. Il y en a eu deux autres avant. O Chan Y lève Anne. Et O Chan Touelve.

Moi, j'ai mis dix minutes à comprendre.

Vous?

jeudi, juillet 13, 2006

Potin (sss)

La salle d'attente de la clinique d'esthétique du Sanctuaire est pleine de femmes à lunettes noires qui font semblant de ne pas voir qu'il y a plein d'autres femmes à lunettes noires.

Marc Messier ressemble à mon père. En infiniment plus drôle, plus tendre, plus affectueux.

Israël vient à nouveau de prendre le Liban en otage. Le Liban est la nouvelle Pologne. Tout le monde va se battre chez eux.

***

Vendredi dernier, il y avait dans mon jardin l'actrice la mieux payée du cinéma français. Comment s'est-elle retrouvée chez moi? Longue histoire mais le monde est vraiment tout petit, c'est Paul Auster qui serait content.

Elle est charmante, mère poule, franchement plus jolie "live", elle préfère le rouge au blanc et ce n'est pas elle le centre de l'histoire mais son mari. Il serait content de savoir qu'il est le centre de l'histoire, ça ne lui arrive pas souvent.

Beau gosse pour un français. Qui parle fort et sans l'ombre d'un doute dans la voix.

Ah bon, il a fait un film? Qui n'a pas marché? Et depuis? Elle le fait vivre...

Ah. Voilà qui explique bien des choses.

Bien sûr pour un mec, parisien en plus, épouse au foyer ça ne se dit pas. Non, il est "en recherche de financement pour son prochain long" (les français ne disent pas film, ils disent un long, ils ne disent pas scénario, ils disent scénar, il arrive que les français fassent chier. Je le sais, j'en ai déjà épousé un dans un moment d'égarement).

Donc, il parle. Sans remarquer la table festive, le homard des îles, le beurre citronné aux herbes fraîches, le ceviche de pétoncles à se rouler par terre, l'aligoté bien frais, la douceur de la nuit, la divine compagnie. Tout ça lui passe dix pieds, que dis-je, cent pieds au dessus de la tête tellement ce beau grand garçon qui a tout pour lui a besoin d'exister.

Il ne voit pas non plus sa fille qui s'est faite copine avec Belle Fille. Il ne remarque pas le miracle de ces deux gamines, la blonde canadienne anglaise et la brune parisienne, qui jouent à Scategories. Sans adultes! Et qui nous foutent une paix royale qui nous permet de boire encore plus d'Aligoté sans même se sentir coupables puisqu'elles ont un fun noir.

Beau Gosse ne voit rien de tout ça.

Sa femme s'efface, le met en avant, lui offre la lumière dont il a tant besoin. Elle lui laisse toute la place qu'il n'a pas à ses côtés dans la vie publique. Elle minimise les compliments qu'elle reçoit, la reconnaissance de son talent. Elle s'excuse presque de son succès. J'ai une petite mélancolie. Ça prend un homme fort pour être à côté d'une femme qui rayonne. Et les hommes forts ne courent pas les rues...

Quand même, je compatis. Avec elle. Avec lui. Jusque là, je me dis encore "pauvre garçon".

Et puis, entre deux pattes de homard, ce con se met à parler d'Israël, des juifs et d'antisémitisme avec la rage d'un Che Guevara de salon, l'indignation vertueuse de celui qui n'a ni mis les pieds en Israël, ni vu de ses yeux les camps de réfugiés palestiniens. Les mêmes qui condamnent Zidane parce qu'il n'est pas un exemple pour les enfants.

Beau Gosse ne sait pas de quoi il parle lui qui vit dans un appartement somptueux du 6ème mais il parle quand même. Un peu plus, il ferait des effets de toge comme s'il était procureur en chef à Nuremberg. Son discours relève du sionisme pour les nuls. "Nous avons mis les juifs dans les trains"!

Euh. L'Holocauste, c'était vingt ans avant qu'il naisse. Et moi, je n'ai mis personne dans un train, à part mon fils une fois mais c'était le train de banlieue qui va à St-Constant. Ai-je besoin de spécifier que je considère l'Holocauste comme une monstruosité abominable? Non, hein. Vous aviez compris, c'est bien ce qui me semblait.

Tout le monde autour de la table était d'ailleurs parfaitement d'accord sur ce point. Là, n'était pas la question. Mais nous avions aussi un convive directement concerné par le génocide rwandais, un Cree et une hôtesse (moi) de plus en plus excédée. Ça doit être mon sale caractère espagnol, hérité de mes ancêtres génocidaires de tous les indiens des Amériques.

Je trouve qu'il n'y a pas de hiérarchie dans la souffrance. Un orphelin qui pleure, c'est un orphelin qui pleure. I rest my case.

Parlant d'indien, notre Cree s'énerve. Beau gosse devient vindicatif. La tension monte. Ça dégénère. Tout le monde est mal, surtout les filles.

Bon. C'est pas "qu'on ne peut plus discuter". C'est pas qu'il y a des tabous. C'est pas non plus qu'on doit se conformer aux règles du politiquement correct.

C'est pas ça du tout.

La vérité, c'est qu'on ne s'engueule pas à ma table en mangeant du homard, putain! Si vous voulez vous battre, allez au McDo!

***

Le lendemain, il a quand même téléphoné pour s'excuser. Il avait passé une excellente soirée (!?!). Il a bon coeur au fond. Et puis, le pauvre, c'est quand même pas de sa faute s'il est français.

mercredi, juillet 12, 2006

Le vrai monde

J'ai toujours trouvé que c'était une étrange façon de définir ceux qui ne font pas partie du "milieu" du cinéma, de la télévision ou de la scène. Comme si ceux qui en font partie étaient du faux monde...

Enfin.

Jean-Claude Carrière, un immense et très discret scénariste qui a travaillé avec Bunuel, Forman, Brook, Rappeneau et Wajda (entre autres) a dit qu'un vrai scénariste ne jugeait jamais ses personnages. Que la marque d'un grand scénariste était d'être à la fois le violeur et le violé, le banquier et le mendiant, le syndicaliste et le patron, l'homme et la femme.

Ça semble une évidence et pourtant c'est une des choses les plus difficiles à réussir qui soit.

Un des aspects de mon travail qui m'excite le plus, c'est de rencontrer des gens qui vivent dans leur quotidien ce que je veux faire vivre à mes personnages. Sur quelques séries, j'ai eu des recherchistes ou des consultants officiels. Quelques uns, c'est rare, comprennent la complexité des exigences de la fiction. Ceux là sont précieux, surtout quand il faut livrer beaucoup en peu de temps.

Mais rien ne vaut le thrill d'aller sur le terrain, de se mettre les mains dans la terre de la vie des autres. J'aime toucher, sentir, garder en mémoire le détail qui tue. Aucune recherchiste au monde ne peut t'apporter ce que toi, tu cherches. Le lac de sang d'un abattoir, les fins de nuits moites dans la roulotte de Pops, la peinture écaillée d'une salle de boxe de St-Henri, la tension d'un couloir de palais de justice, le visage qui tressaille quand on touche un nerf sensible.

Au fil des années, j'ai rencontré des profs, des élèves, des policiers, des bums sympathiques, d'autres beaucoup moins, d'anciens ministres, des cultivateurs, un apiculteur, un médecin spécialisé dans le traitement de l'anorexie, un autre qui était chirurgien, pédiatre, cardiologue et bulgare, un accordeur de piano aveugle, un psychologue judiciaire qui traitait les cas d'aliénation parentale, un juge, plusieurs avocats, un géologue italien, des analphabètes, des écrivains, des boxeurs, le propriétaire d'une flotte de camions qui se faisait un devoir d'engager d'anciens prisonniers, Pops, un actuaire fou de jazz, une ingénieure libanaise qui construisait des écoles en Afrique, une comptable voyageuse, des ouvriers qui avaient passé trop de temps au fond de la mine, une couple de millionaires, un bossu Don Juan, des mannequins intelligentes, des sportifs obsessifs, des chercheurs, un boucher poête, un chef cuisinier sur la coke, des enfants turbulents, des vieux adorables, des ados craquants.

J'ai écouté. J'ai été surprise de l'ampleur de mon ignorance et de mes préjugés. Jean-Claude Carrière a raison. Pour rendre la vérité des choses, il faut savoir dépasser le jugement et regarder ce qui est. Comme m'a déjà dit un autre scénariste: "bien écrire n'a aucun intérêt si ce n'est pas vrai".

Ces gens-là, le vrai monde, vous ne les verrez jamais dans un talk show ni à Bazzo. Médiatiquement parlant, ils sont complètement en dehors de la zone radar. Et pourtant, ils vibrent fort...

Tous m'ont raconté leurs compétences, leurs talents, leurs façons de travailler, l'organisation de leurs journées, leurs aspirations. Avec générosité. Ils avaient à coeur de rendre la vérité de ce qu'ils vivaient. Ils m'ont aidée à me mettre dans leur peau, à les faire vivre à l'écran. Pas pour raconter "leur" histoire, l'anecdote n'a aucun intérêt. Mais pour saisir l'essence de ce qu'ils étaient. Un mécanicien m'a démonté un moteur juste pour moi, avec patience et pédagogie, pour être sûr que j'avais bien compris comment ça se faisait "de la belle ouvrage".

Je ne suis pas devenue mécanicienne. Mais le regarder défaire minutieusement les pièces de son moteur une à une, en les essuyant au chiffon avec amour, m'a appris plus sur lui que des pages de notes d'un rapport de recherche.

Pour bien écrire, il faut avoir bien vu.

***


Jean-Claude Carrière a écrit un livre, publié en anglais seulement. Livre insolite dans la jungle orthodoxe et dogmatique des Robert McKee de ce monde.

"The secret language of film"

Chez Random House

mardi, juillet 11, 2006

Vérité et pardon


C'est le thème de la semaine. Après les variations Goldberg, les variations vérités.

***

Mandela est un rusé. Un malin. Oui, oui, les grands éloges aussi. Mais c'est surtout un homme intelligent. Pensez donc. Trois décennies en prison, l'apartheid, l'horreur et le premier truc qu'il fait en sortant c'est de traverser les lignes ennemies et leur dire "parlons nous".

Pas de pardon sans vérité.

***

Le Québec des années 70.

Un village. Un divorce. Un beau-père. Ce genre-là. Qui taponne. Qui lève des chandails pour flatter des seins naissants. Qui prend sa douche avec des petites filles et les lave trop longtemps et presse son corps d'homme mûr sur un corps de gamine. Qui fait une carrière formidable sur un sujet formidable, l'enfance... C'est un pauvre type.

La mère par contre... Intelligente, qui gagne sa vie. Pas de raison d'endurer. Et pourtant. Elle le regarde obliger sa fille à déboutonner sa chemise. Elle dit "c'est des farces" en riant trop fort. Elle le laisse régner sur la maison comme le dictateur qu'il est. Et quand ça devient trop lourd, elle regarde ailleurs.

Trente ans plus tard, elle regarde toujours ailleurs. La fille ne pense plus au beau-père mais elle pense toujours à sa mère et à son regard qui se détourne.

***

Kigali mai 2006

La femme au collier quitte son village de l'Estrie et retourne dans son village natal au Rwanda. C'est une Tutsi. En 1994, elle attendu pendant des mois des nouvelles de sa famille, n'a eu la confirmation de leur mort que beaucoup plus tard. Elle ne connait pas les circonstances de leur mort, ni où ils sont enterrés. Elle ne sait même pas s'ils ont été enterrés.

Elle s'est rendue dans un gachacha, un tribunal populaire. Douze ans plus tard, elle était prête. Sous un arbre bucolique, elle témoigne: "je sais que ma famille a été exterminée, si quelqu'un sait quelque chose, j'aimerais l'entendre".

Un homme se lève. Il sait. C'est lui qui a tué le père et un neveu. Un gamin de cinq ans qui s'était réfugié dans un arbre une journée de tuerie. Qui a dû voir, entendre, sa mère, ses frères et son père se faire tuer. Qui n'est redescendu de son arbre qu'à la nuit tombée, se croyant en sécurité dans les ténèbres. Il ne l'était pas.

L'homme raconte tout ça. Le jour, le temps qu'il faisait, la bière qu'il a bue après sa journée de travail. Il montre à la femme au collier l'endroit où il a achevé son père. Il lui dit que le père s'est défendu avec courage. Il fait avec la femme au collier le pellerinage de la journée qui a fait d'elle une orpheline.

À la fin de la journée, la femme au collier lui serre la main et prononce un seul mot: "merci".

Elle est rentrée au Québec illuminée, en paix.

***

L'une a pardonné, l'autre pas.

La Citation du Jour

Elle est de Dany Laferrière. Of course.

"La dignité, c’est justement le geste de Zidane pour récupérer un peu de son honneur. C’était son moment. Il a tout donné à son équipe. Là, c’était pour lui. Huit secondes sur une carrière de près de vingt ans. Parce que si on ne le fait pas maintenant, ce sera fini. De toute façon il était crevé, et l’équipe pouvait rouler sans lui.

Je crois qu’il y a des moments dans la vie qui n’appartiennent qu’à celui qui les vit. Et à personne d’autre. Ce moment où l’on refuse de jouer, c’est toujours un moment bête aux yeux des autres. Car que vaut l’image de la fierté réclamée par la collectivité face à la fierté intime de l’individu"?

***


Éditorial Zidane

La vérité? On ne sait pas ce que l'italien a dit. Il y a des rumeurs.

"Il parait" qu'il a insulté les femmes de Zizou, sa mère, sa soeur, sa femme. "Il parait" qu'il l'a aussi traité de terroriste. Tous les arabes sont des amis de Ben Laden, c'est bien connu.

Les faits, irréfutables. Zidane a cogné l'autre sans aucune hésitation. Avec sa tête. On est contents que Zidane ne joue pas au baseball.

L'interprétation. C'était pas un coup de tête, c'était un statement. Au monde entier.

On n'insulte pas les miens impunément.

***

Vérités

La vérité c'est une boule miroir doublée d'une poupée russe. Une multitude de vérités dans lesquelles se cachent d'autres vérités.

Il y a les histoires inventées plus près de la réalité que milles documentaires. Il y a des histoires basées sur la "vraie vie" qui mentent comme des arracheurs de dents. Il y a des vérités qu'il faudrait crier et qu'on cache toute notre vie. Il y a des vies entières basées sur la dissimulation de la vérité. Il y a la vérité de certains moments qui ne correspondent en rien au reste et qui, pourtant, sont plus vraies que tout.

Il y a la vérité de celui qui raconte et celle de celui dont il est question. Ces deux-là ne seront jamais d'accord.

Tout est sujet à interprétation. Ceux qui en doutent n'ont qu'à demander aux membres d'une même famille de raconter l'histoire de la famille. Il y aura autant de versions que d'individus.

La vérité, c'est la mémoire réinventée.

Et écrire la vie de quelqu'un qui a existé un exercice de haute voltige. Surtout s'il y a des survivants. Surtout si une femme qui a aimé vous plante ses grands yeux noirs dans le fond de l'âme. Quelques fois, le jugement d'une seule personne vous importe plus que celui de millions d'autres.

Si les faits restent irréfutables, leur interprétation est aussi vaste qu'un horizon de bord de mer. Infini.

Et puis, il y a les témoins. Aussi sincères soient-ils dans leur bonne volonté, on ne peut présumer ni de l'infaillibilité de leur mémoire, ni de la prédominance de l'égo, encore moins de leur désir tout à fait humain de bien paraitre sur un écran. Ce n'est certainement pas parce qu'ils collaborent qu'ils disent vrai. Même s'ils en sont convaincus.

Dans toute histoire, il y a l'Officielle et il y a les milles autres histoires non officielles qui ne seront jamais racontées. Faire la part des choses est impossible. Rester objectif est non seulement impossible, c'est réducteur.

C'est pourquoi toute oeuvre biographique reste une fiction, un éditorial écrit par l'auteur sur la vie de celui ou celle qui est devenue son personnage.

Il y a un film sur Cole Porter, avec Kevin Kline. Dans le film, un metteur en scène monte une comédie musicale sur la vie de Porter. Porter assiste aux répétitions et s'objecte à une scène, qui, selon lui, ne dit pas la vérité. Ça ne s'est pas "vraiment passé comme ça dans la vraie vie". Le metteur en scène refuse le changement demandé par Porter. Celui-ci se choque.

COLE PORTER
I's my life.

METTEUR EN SCÈNE
It's my show.


***

jeudi, juillet 06, 2006

Perles de cinéma

Le même film. Il faut louer des échafaudages. D'une compagnie qui visiblement, a eu du mal à passer aux exigences de la loi 101. Et leur réceptionniste de répondre avec un splendide accent de St-Léonard:

- Érection rapide, bonjour, comment je peux t'aider?

Yep.

***

Une nuit d'octobre. Granby. On gèle. Quand on marche dans les allées, on entend les panthères qui feulent, excédées par le va et vient. Elles ne sont pas les seules... Un éléphant, importé d'un cirque américain avec son dresseur, fait ses premiers pas de vedette. Il a le trac. Comment on le sait? Le pauvre, il chie sa vie... Et en plus, il se fait tirer dessus. Par un faux fusil de chasse avec de fausses balles mais bon, ça ne l'aide pas du tout à relaxer. Des montagnes, que dis-je, des lacs, s'accumulent sous la pauvre bête.

Il y a trois stagiaires sur le film. L'une d'elle travaille aux décors. Le sol sur lequel se répand l'angoisse de la nouvelle star, fait partie des décors.

La stagiaire, armée d'une pelle en alu et entièrement vêtue d'un ciré de marin (oui, elle est, comment dire, sous un feu nourri) combat vaillamment une nausée omniprésente, sachant que tous les regards sont tournés vers elle. Rien n'amuse plus une équipe technique que de mettre un stagiaire à l'épreuve, histoire de voir comment il (elle,c'est encore mieux) se démerde (j'ai essayé de l'éviter, je le jure).

L'équipe attend, à une distance qui les met à l'abri des effluves, qu'elle aie terminé pour pouvoir tourner raccord. La stagiaire se donne à fond sur la pelle.

Tout à coup, la voix goguenarde du directeur photo s'élève dans la nuit:

- Alors comme ça tu voulais faire du cinéma?

***

So much pour les paillettes et le glamour.


lundi, juillet 03, 2006

Il était une fois lui


Septembre 1986, carré St-Louis, l'ancien hôpital Vogel.

La couette de travers, l'oeil noir, le geste sicilien, il gueule. Devant lui, la stagiaire qui fait office de secrétaire de production. Elle est toute petite et parait encore plus petite parce qu'elle est terrorisée. Il n'est pas beaucoup plus grand mais il est beau. Beau comme une photo de Curtis. Beau comme une eau forte de Georgia O'Keefe. Un sale caractère qu'il porte en masque full face pour cacher un romantisme débridé, presque naïf, de St-Ex version trash. La semaine d'avant, il lui a pété une autre crise parce qu'il considère qu'elle perd son temps dans une job de bureau au lieu de faire ce qu'elle a à faire. Il est volatile, emporté, exaspérant, tyrannique, doué, attachant. Simultanément. La petite secrétaire se dit que si elle osait être comme lui, elle serait bien mieux payée...

Il a le sens de l'image alors il balance le formulaire à travers la pièce dans un grand geste cinématographique. La secrétaire se lève pour ramasser le papier sur le plancher couvert de poussière en se disant qu'il ne lui signera pas le maudit papier et que son dossier ne partira jamais à temps. C'est sale partout, le bureau de la réception est une planche de plywood. Il y a des téléphones, une machine à écrire, le tableau de l'horaire de tournage, that's it. Même pas d'ordinateur. C'est un petit film, sans budget. Tout l'argent va à l'écran.

- Je ne signerai pas ça.

- C'est pour les assurances.

- Je m'en sacre des assurances. Je signerai pas.

- C'est la garantie de bonne fin qui demande que...

- Je m'en sacre de la garantie de bonne fin. Je conduit ma moto quand je veux, mon avion quand je veux. Personne me dit quoi faire.


Le producteur sort de l'ancienne salle d'opération qui lui sert de bureau. Il est pas énervé. Il a l'habitude.

- Tu signes pas, tu fais pas ton film.

- ...


- Je veux que tu t'engages à ne pas conduire ni ta moto, ni ton avion pendant toute la durée du tournage.

- Pendant que je tourne, d'accord. Mais la fin de semaine, je fais ce que je veux.

- Hors de question. Si tu te casses la gueule...

- Je ne me casserai pas la gueule.

- Si tu te casses la gueule parce que tu as pris ton avion ou ta moto, le garant de bonne fin ne nous donnera jamais l'argent pour finir le film.

- Tu finirais le film sans moi?!

Une minute plus tard, il avait signé.

***

Dix ans plus tard, une journée chaude en août. La petite secrétaire est encore petite mais elle n'est plus secrétaire. Elle ouvre la télé. Un avion privé vient de s'écraser. Des images de l'appareil calciné.

Elle a su tout de suite que c'était lui. Avant même qu'on dise son nom. Elle s'est assise sur le nouveau divan qu'elle venait d'acheter et elle a pleuré à gros hoquets morveux. Orpheline.

Des êtres à qui personne ne dit quoi faire, il n'y en a pas beaucoup.