Dans un précédent post "mondanités" j'ai raconté une certaine récupération de la jeunesse par un milieu qui se cherche un totem autour duquel il peut se rassembler en ayant l'impression de faire une bonne action.
Je me méfie de ce genre de bonnes actions. Je pense comme Denys Arcand,
qui l'a dit bien mieux que moi, que ce qu'on sait est intransmissible et que chacun doit trouver son chemin, en accord avec sa personnalité et son histoire. Ça ne se trouve sur aucun banc d'école. Il n'existe à mes yeux, pas de "conseils" qui puissent s'appliquer à tous, comme une recette universelle. Ce serait idiot et condescendant.
Je suis de l'école du lève toi et marche. Prend un crayon, écrit.
Y'a pas de secret des dieux. Pas de recette magique. Pas d'école qui apprend le talent. Pas d'encens qui te met dans la transe de l'inspiration divine. Pas un seul diplôme qui garantisse qu'on soit publié, produit. On apprend en le faisant, en se pétant la gueule en sang, en remontant sur le ring, peut-être sans talent mais avec courage. Des fois on est bons, des fois on est nuls. Et c'est pas parce qu'on est bon aujourd'hui qu'on le sera demain. Pas non plus parce qu'on a une journée pourrie que tout ce qu'on fera sera condamné aux ordures.
Il faut juste
le faire. Quand je faisais moi-même partie de cette "relève" l'expression me hérissait au plus haut point. Je n'étais pas "tombée", j'avais besoin de personne pour me relever, merci, ça va aller, je suis capable toute seule. Et les conseils paternalistes qui ne servent qu'à glorifier l'égo de celui qui les donne, gardez-les pour vous.
Les conseils qui me servent, je les ai reçu quand on ne me parlait
pas de mes textes.
Apprendre à dire non, sans s'expliquer, sans se justifier, juste "non". Plus dur à faire qu'il n'y parait mais essentiel pour protéger son espace vital. Si tu protèges pas ton instrument, personne va le faire pour toi.
Apprendre à s'occuper de ses affaires. Oui, affaire comme dans argent, le gros mot sale chez les artistes. Pigiste, aucune sécurité d'emploi, pas d'assurance chômage, haut niveau de stress, une grosse partie de la responsabilité du montage financier sur le dos, à la merci d'un réalisateur qui te scrappe deux ans d'ouvrage sans que les critiques fassent la différence, faut que t'apprennes à avoir du "fuck you money".
Apprendre à faire autre chose. À voir d'autre monde que celui du milieu. À se rendre utile en société, sortir de son nombril, sec ou pas. Apprendre à relativiser. À rester ouvert sur le reste de la planète qui s'en fout éperdumment des cotes d'écoute du lundi soir. Je donne raison au reste de la planète. On s'en fout des cotes d'écoute du lundi. Du mardi aussi d'ailleurs. Get a life!
Back to jeunesse d'aujourd'hui. Nous vivons une intoxication collective à la jeunesse. Pretty hard stuff. Pour toute une génération complètement accro, incapable de passer à un autre appel, le sevrage semble aussi traumatisant qu'une apocalypse.
Je n'ai jamais compris pourquoi.
Chaque fois que je pense à ma vingtaine, je me dis "thank god it's over". J'en arrachais sur tous les fronts. J'avais l'énergie nécessaire pour angoisser à plein volume et les sujets d'angoisse étaient si nombreux que je me rendais sans même batailler, vaincue d'avance.
J'étais pauvre, malade, isolée, insécure, incapable de maîtriser les petits moyens qui étaient les miens. À vingt ans, je faisais vivre trois personnes dans un taudis et je me tapais simultanément une mononucléose carabinée et deux jobs de cul. Je n'avais qu'une obsession, dormir. Fuir.
Comment peut-on dire que c'est le plus bel âge de la vie?
J'ai commencé à écrire par hasard. Sans jamais me dire que j'étais "un auteur". Ça ne me serait pas passé par la tête. Pour moi, un auteur, c'était Carson McCullers, J.D. Salinger (pas celui du "Catcher in the rye" celui du "perfect day for a banana fish"), Ducharme, Gabrielle Roy, Harper Lee, Romain Gary, Carver.
J'étais nulle. À des années lumière de Carver et Salinger. Et je le savais. Cette lucidité ne m'aidait pas, au contraire.
À mon plus grand étonnement, j'ai gagné un concours. Un hasard. Je n'avais jamais écrit, ni dans le journal de l'école, ni mon propre journal, rien. Les organisateurs avaient le sens du cocktail tous azimuts. J'ai rencontré d'autres "jeunes" qui écrivaient. Je les trouvais sûrs d'eux, ambitieux dans le meilleur sens du terme, à l'aise dans le grand monde, brillants. Ils avaient "fait" l'Europe, lisaient le Voir toutes les semaines, ils parlaient de Wim Wenders comme s'ils avaient partagé une seringue avec lui la veille (ah, vous ne saviez pas? Si). S'ils avaient des doutes sur la validité de la reconnaissance qu'on leur accordait, ils ne l'affichaient pas.
Alors que dans mon village je devais me cacher pour lire afin d'éviter d'être la risée de la polyvalente, là, j'étais la plouc de campagne qui débarque avec ses bottes de rubber.
Le même isolement de ne pas correspondre à la norme. La même incapacité d'aller vers l'autre, paralysée par la peur du rejet. Et un choc. Je n'avais jamais été jeune.
Beaucoup plus tard, j'ai rencontrés d'autres "vieillis prématurément". On apprend à se reconnaitre avec le temps. On apprend à quitter la survie pour apprendre à vivre.
Ce n'est pas si facile de vivre en temps de paix quand on a été élevé sur le champ de bataille. C'est très doux par contre.
J'ai rencontré des gens qui ne m'ont rien enseigné mais qui m'ont appris beaucoup. Quelques fois à leur insu. Je leur en suis éternellement reconnaissante et ils le savent. Ce n'est pas nécessaire de connaître beaucoup de monde.
Ce qu'il faut, c'est connaitre ceux qui nous aiment. Et leur rendre la pareille. De tout notre coeur.